Joueuse emblématique du paysage luxembourgeois, Lisy Hetting revient avec nous sur cette saison couronnée de succès, ainsi que le véritable crève cœur vécu pour ses derniers matchs avec la sélection, sans oublier la place de la femme dans le sport. Entretien avec une femme qui parle vrai
MENTAL! : Le moins que l’on puisse dire c’est que cette année 2025 aura déjà été très riche en émotions : qu’est ce que tu retiens le plus de ces derniers mois ?
Lisy HETTING : Ce qui m’a le plus marqué est extra sportif puisque ma tante nous a malheureusement quitté le jour précédent le match 2 contre Bertrange. À ce moment-là, je me suis dit que je devais continuer à jouer pour elle. Elle était présente à tous les matchs avec mes parents. Avec ma sœur, nous avons eu ce supplément d’âme grâce au soutien de notre famille et de ma compagne Barbara à titre personnel, qui nous a permis de tenir et d’aller finalement chercher ce titre qui signifie beaucoup.
Concernant la saison qui vient de se terminer avec Hostert : deuxième doublé sur les trois dernières saisons, mission accomplie avec brio. Vous n’avez rien laissé à la concurrence …
On était les favorites depuis le début de la saison et c’était l’objectif d’aller chercher ce doublé, mais il fallait encore aller les gagner sur le parquet, ça ne marche pas tout seul, tu dois te battre pour aller gagner des titres.
Tu as bouclé ta vingtième saison, tu penses un peu à la fin de carrière ou pas du tout ?
Pour le moment, je suis encore entre les deux. C’est sûr qu’après 20 saisons, on se pose la question, avec la possibilité de vivres de nouvelles aventures dans un coin de la tête. Pour moi ce n’est pas encore tout à fait clair car je me sens encore en forme et si le corps suit, pourquoi pas continuer ? Mais d’un autre côté, j’ai aussi une vie privée, avec un fils de 7 ans… C’est une situation particulière au Gréngewald car François Manti a arrêté et on ne connait pas encore l’identité du nouveau coach. Si nous, les joueuses expérimentées, arrêtons en même temps, ça risque d’être difficile pour le club, donc je réfléchis encore.
Le choix du nouveau coach peut te permettre de prendre ta décision pour la saison prochaine? Ou il y a d’autres facteurs qui rentrent en compte ?
Ça ne dépend pas du coach mais un peu de l’effectif qu’il y aura. Je me dis également qu’il y a un grand changement d’attitude entre les générations. Ceux qui me connaissent savent que je me bats jusqu’au bout en laissant tout sur le parquet, que j’ai cette niaque, et j’ai l’impression que c’est quelque chose qui manque un peu à la nouvelle génération.
En parlant de retraite, Amanda Cahill raccroche à 28 ans : c’est une grosse perte pour l’équipe en vue de la saison prochaine …
Évidemment, l’arrêt d’Amanda est une énorme perte pour l’équipe. Pas uniquement car c’est une joueuse très talentueuse, mais car c’était un leader sur et en dehors du terrain, donc elle va beaucoup nous manquer. Son expérience et son QI basket ne pourront pas être remplacés si facilement. Nous ne pouvons que respecter sa décision.
Ça ne te fait pas un peu bizarre de voir des joueuses plus jeunes s’arrêter alors que tu continues d’enchainer les grosses prestations de ton côté ?
(Rires) C’est vrai que ça fait bizarre. J’ai désormais 34 ans et je vois parfois partir des jeunes joueuses de 17-18 ans qui vont à l’université et ne reviendront jamais au basket par la suite. Il faut respecter les décisions des autres et chacune à ses propres priorités, mais c’est sûrement quelque chose que je ne comprendrai jamais. Que des jeunes s’arrêtent parfois si tôt… Je joue depuis l’âge de 8 ans, et c’est un sport qui est très présent dans la famille avec mes parents, et forcément depuis petite, je ne peux pas me passer de ce sport.
Même si tu as connu plusieurs clubs, c’est avec Gréngewald que tu as connu tes plus grands succès avec tous tes titres glanés dans ce club : qu’est ce qui fait la particularité et la force de votre groupe ?
Ce qui rend ce club si spécial, c’est l’humain et les liens que l’on a tissé au fil des saisons. C’est la première fois que je me considère être dans une petite famille. Je suis toujours heureuse de voir les gens tous les week-ends, quand on est à la buvette et qu’on boit un coup, je n’avais jamais ressenti ça à ce point dans un autre club précédemment.
De plus, les femmes sont traitées comme les hommes au club. Lorsque je suis arrivée en 2018, le projet de jouer l’Eurocup était assumé et pour les femmes, c’était formidable.
Pour rebondir sur tes propos, que penses-tu de la place que l’on accorde aux femmes dans le monde du basket au Luxembourg ? Y a-t-il du progrès ?
Je dirais qu’il manque encore pas mal de choses. Au niveau de la presse par exemple, où les matchs des hommes qui s’avèrent être décisifs sont diffusés sur RTL, ce qui n’est pas le cas pour ceux des femmes, même si je dois dire que pour l’aventure d’il y a quelques mois en équipe nationale*, nous avions une forte présence dans les médias du fait de notre parcours. Mais j’ai le sentiment que les femmes doivent plus donner pour tenter de se faire une place au côté des hommes.
Même si ça s’est mal fini, te rends-tu compte qu’à travers ces rencontres, vous avez suscité l’engouement au pays, et de potentielles vocations chez les jeunes pour les années à venir ?
Oui on l’a ressenti. On avait un journaliste qui était avec nous durant toute la campagne et on voyait ce qu’il se passait au pays. Malgré la déception qu’il y a eu à la fin, on a réalisé une énorme campagne. Il y a toujours du positif à retenir, on était toutes proches d’écrire l’histoire. Avec un peu de recul, il y a des jeunes joueuses qui vont commencer à travailler avec des rêves à réaliser. On a montré que c’était possible ! Si on perd de quelques points de moins contre le Monténégro, on va au championnat d’Europe, donc je pense que les jeunes ont conscience de ça désormais.
Ce n’est pas frustrant de prendre sa retraite internationale à ce moment-là ?
Concernant ma retraite internationale, ma décision était déjà prise avant le match contre le Monténégro. Je l’ai annoncé aux joueuses de l’équipe, je voulais donner ma place à une jeune joueuse de la nouvelle génération qui allait avoir la chance de se montrer lors de matchs internationaux. C’est important pour des joueuses comme Anne Simon ou Ehi Etute qu’elles aient la possibilité de se montrer. La déception est grande car je voulais faire partie de cette équipe qui allait écrire l’histoire, mais ça n’a pas pu se faire. Je reste quand même confiante sur le fait qu’une équipe parviendra à réaliser cela dans le futur, mais ça sera sans moi (rires).
On voit aussi que de plus en plus de joueuses parviennent à s’exporter et à performer à l’étranger : l’essor du basket luxembourgeois et de son équipe nationale passe-t-il nécessairement par là selon toi ?
Je pense que c’est effectivement important d’avoir des joueuses qui partent évoluer à l’étranger, car le niveau est plus élevé qu’au Luxembourg. D’un autre côté, si toutes les bonnes joueuses partent, c’est le championnat national qui en pâtit. Mais si on prend en considération l’équipe nationale, je pense que le fait que des luxembourgeoises parviennent à évoluer à l’étranger est la meilleure chose qui peut arriver, car le niveau de l’équipe nationale augmentera avec.
Tu as passé la majeure partie de ta vie à écumer les parquets du Luxembourg : qu’est-ce que tu as le plus fait évoluer dans ton jeu au fil de toutes ces années ?
(Rires) Ce n’est pas une question facile mais je dirais que pour mon cas et mon jeu, c’est ma vision de jeu et ma capacité à m’adapter à différents styles de jeu. Avant, je mettais l’accent sur mon propre jeu et essayer de scorer le plus possible mais j’ai vraiment réussi à développer le fait de jouer pour l’équipe et désormais je suis totalement dédié à l’équipe. J’ai ce rôle de leader qui m’oblige à tout donner et je suis désormais plus calme sur le terrain qu’à l’époque.
Est-ce que cette vision de jeu et ce calme impulsé à l’équipe arrive forcément avec l’expérience, ou certains jeunes peuvent déjà l’avoir ?
Je dirais que les années de pratique aident forcément à développer ce côté, mais pour mon cas, ce sont aussi mes expériences personnelles qui m’ont amené à faire évoluer mon jeu. Après la naissance de mon fils en 2018, mon retour a été vraiment difficile. Je n’étais pas prête mentalement pour jouer, j’ai donc dû beaucoup travailler l’aspect mental, et je me suis concentré sur autre chose que faire uniquement des points à ce moment-là.
Après 20 ans à jouer au plus haut niveau national, a-t-on toujours autant de motivation pour se maintenir à ce niveau d’excellence au quotidien ?
La motivation reste intacte, mais il y a des jours où c’est plus dur que d’autre et où c’est dur d’aller s’entrainer (rires). Mais dès que je suis sur le terrain, je suis à 100%. C’est aussi quelque chose que j’ai appris de ma mère, cette motivation et cette responsabilité envers l’équipe, ainsi que le respect, qui me poussent à me surpasser même quand c’est un peu plus dur.
As-tu vu le respect et le crédit accordé au basket féminin évolué durant votre carrière ?
Ça s’est évidemment amélioré mais je dirais que ça ne progresse pas assez vite. Il y a des écarts au niveau de la médiatisation comme évoqué précédemment, ainsi que l’argent qui ne peut pas vraiment être considéré comme un salaire mais plutôt comme une indemnité (rires). Nous ne sommes qu’amateurs, mais il y a vraiment des grands écarts et je ne sais pas si cet écart se comblera un jour. C’est peut-être un sujet dont j’essayerai de m’occuper après ma carrière.
*L’équipe nationale est passée toute proche de se qualifier pour le premier championnat d’Europe de son histoire mais une défaite lors du dernier match face aux Monténégro a mis fin à l’aventure.
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