
Connue pour son franc-parler, la présidente du club de la capitale, l’une des places fortes de notre football, et de la Lëtzebuerger Football Ligue n’y va pas par quatre chemins. Fédération, foot féminin, Becca, résultats de l’équipe fanion, rôle de la ligue : aucun sujet n’est tabou. Long format avec Karine Reuter, la plus clivante des dirigeantes.
Présidente du RFCUL depuis 2016, Karine Reuter est également présidente de la LFL, un deuxième mandat qui a été reconduit pour 4 ans en mai dernier. Cette notaire de profession, ancienne avocate, figure du football luxembourgeois, nous reçoit dans la bonne humeur au secrétariat du Racing, dans les infrastructures du stade Achille Hammerel. Entre deux voyages en Afrique du Sud, elle a accepté de répondre à toutes nos questions, y compris les plus dérangeantes. Delvin Skenderovic, directeur de son Académie, nous le confiera en fin d’entretien : « C’est ça qu’on aime chez elle. Elle est très authentique, elle est directe. Avec elle, tout est dit en face. Elle n’essaie pas d’emballer son discours avec de belles images. » Si bien que la présidente Reuter a conscience de ne pas se faire que des amis. Au contraire même, mais elle semble s’en amuser. Car ce qui compte en premier lieu pour Karine Reuter, c’est le fond, pas la forme. Démonstration. (Cette interview a été réalisée le 6 octobre)
DRIBBLE! : Présidente, avec le Racing, vous avez réussi un exploit rarissime : placer en coupes d’Europe 3 équipes ! Les seniors en Conference League, les dames en Women’s Champions league qui ont passé le premier tour, et les jeunes en Youth League qui se sont qualifiés aussi. Historique ou juste retour des choses pour le club de la capitale ?
Karine REUTER : C’est déjà la deuxième fois ! Nos jeunes s’étaient qualifiés l’année où l’on a gagné la coupe [ndlr : en 2022] et les filles étaient déjà européennes. Oui ça devrait être un retour à la normale. En réalité, c’est une bataille de tous les jours. Une bataille financière, gestionnaire aussi… Heureusement, nous avions prévu trois budgets différents, et la ville nous aide aussi, avec des subsides qui fonctionnent un peu comme les contributions de l’état, selon le nombre de joueurs.
Vos dames ont passé le tour préliminaire de la Women’s Champions League, et survolent le championnat en écrasant tout le monde : cette équipe vous rend-elle fière ?
Oh oui très fière ! Lors du tirage au sort à Nyon, quand Pia [ndlr : Juchem] a appris qu’on tombait sur Athènes et Riga, elle m’a dit que c’était vraiment le pire tirage qu’on ait jamais eu. Et puis au fur et à mesure de la préparation, je voyais Elodie [ndlr : Martins] on fire et j’ai commencé à y croire. Mais le deuxième match, contre Riga, quand elles se sont qualifiées après le deuxième match, c’était vraiment un moment exceptionnel. Je ne l’ai pas dit à Pia, mais le soir où elles battent Athènes, je savais qu’elles passeraient. Immédiatement j’avais contacté l’agence de voyages pour organiser les vols, parce que je les sentais vraiment bien !
Les situation des seniors est préoccupante en championnat. Est-ce qu’on est en retard au niveau de la feuille de route ?
Très loin ! (Rires) On est très loin de la feuille de route fixée. Mais il faut aussi comprendre qu’il y a eu de nombreux changements de dernière minute : perdre Mabella, Gomes et Mazié comme ça et les remplacer, ce n’est pas facile. Et même si vous réussissez à avoir de nouveaux joueurs en dernière minute, il faut aussi que l’équipe se recompose et s’habitue à jouer ensemble.
Vous êtes présidente de l’un des plus grands clubs du pays en termes de licenciés. C’est déjà un full time job pour la plupart des dirigeants, et pourtant vous avez votre étude, vous avez ce rôle à la Ligue et vous trouvez le moyen de partir régulièrement pour vos affaires en Afrique du Sud : comment fait-on pour être partout à la fois ?
J’ai la chance d’avoir partout des bonnes personnes en place, qui font ce que je leur dis et qui le font bien. Ce n’est pas facile mais c’est faisable. Le secret c’est de bien s’entourer, trouver les bonnes personnes et savoir déléguer. Il faut juste que le résultat soit là à la fin et que je n’ai rien à critiquer ! Et quand cela fonctionne moins bien, il faut analyser la situation. Peut-être parfois on a trop hâte d’atteindre un objectif et il suffit juste être patient. Les bonnes choses prennent du temps.
Vous devez bien vous focaliser sur des domaines spécifiques au sein du club ?
Je garde une vision en hauteur et suis toujours impliquée dans tout. Je peux toujours intervenir quand je pense que ce n’est pas la bonne décision qui est prise. Les dames par exemple, ça roule, donc je n’ai pas besoin de m’impliquer beaucoup. Tout est bien, elles font un super championnat, une belle campagne européenne, donc je n’ai rien à dire. Chez les seniors en revanche, c’est autre chose…
L’article sorti chez nos confrères du Quotidien, on pourrait un peu le lire sous forme de manifeste : est-ce que vous lancez votre campagne pour être candidate à la présidence de la FLF ?
(Rires) Certainement pas, non ! Je comprends qu’on l’interprète de cette manière mais ce n’est certainement pas mon intention. Ce qui m’a énervée, c’était tout cet encadrement autour des dames… À l’étranger, on est fier en tant que FLF de dire « regardez, on a fait ceci ou cela » mais pour prendre ses responsabilités ici à Luxembourg, il n’y a rien qui se fait. Et ça me frustre !

Quelle serait l’amélioration la plus facile à mettre en place avec juste de la volonté ? Une mesure qu’il suffirait de décider et qui ferait bouger les choses ?
Si on parle spécifiquement dames : la question permanente des trois arbitres. C’est très simple à mettre en place : il suffit de supprimer des arbitres ailleurs ! Je sais que maintenant ceux des divisions inférieures vont me tuer (rires) mais pourquoi ils auraient trois arbitres et nous un seul ? C’est quand même scandaleux, on est dans une première ligue ! Je me souviens qu’un jour, on jouait au Polfer contre Junglinster [ndlr : en 2021]. On savait que ça allait être un match très engagé et il n’y avait qu’un seul arbitre. Et deux de mes filles se sont fait casser l’omoplate sans que cela ait été vu. On ne peut pas le blâmer, il était tout seul sur le terrain, mais ce genre d’incidents est inacceptable.
Dans cet article, vous n’avez pas été tendre avec Paul Philipp, regrettez-vous de l’avoir attaqué notamment sur son âge ?
J’étais en forme ce jour-là ! (Rires) Ce n’est pas son âge en tant que tel qui est ciblé, c’est dit d’une façon générale. Au-delà de 70 ans, tout le monde a la présence d’esprit de prendre sa retraite : regardez notre Grand-Duc, il a 70 ans et vient de prendre sa retraite. Ce que je dis, c’est qu’après 16 ans, il faut un changement. C’est valable aussi pour le Racing. Il faut comprendre qu’après un certain temps, on n’a plus les idées, on n’a peut-être plus les mêmes envies.
Mais pour le moment, vous ne voulez pas incarner ce changement ?
Non, faire de l’opposition c’est beaucoup plus intéressant que de prendre des responsabilités ! (Rires) Il y a une chose qui m’en empêche : je devrais démissionner comme présidente du Racing, et ça je n’en ai vraiment pas envie ! (Rires) En mars 2026, cela fera 10 ans que je l’ai repris. Quand je regarde toutes les difficultés qu’on a traversées, c’est vraiment mon bébé. Je me souviens la première réunion avec tous les joueurs, dans cette pièce : ils refusaient de jouer car ils n’avaient pas été payés depuis 4 mois.
Cela rappelle la situation du Swift… Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du départ de Flavio Becca ? Qu’est-ce qu’il a apporté à notre football ?
Son départ est compréhensible. Je conçois qu’on veuille partir, se diriger vers d’autres horizons, mais il faut partir autrement. N’oublions pas qu’il est arrivé dans ce club et qu’il est à l’origine de toutes ces dépenses, de ce budget énorme. Un club luxembourgeois normal n’a jamais les moyens de se constituer un tel budget. Et trouver un sponsor pour le remplacer qui ramène autant d’argent, c’est très compliqué. Après avoir fait tout cela, il prend une certaine responsabilité qu’il faut assumer jusqu’au bout. C’est tout à fait compréhensible qu’il n’ait plus envie d’être impliqué : il a déménagé en Italie où il a un nouveau projet, why not ? Mais mettre un club dans cette situation, c’est irresponsable.
Beaucoup estiment pourtant qu’il a apporté beaucoup au football luxembourgeois, ce n’est pas votre avis ?
Ce qu’il a amené dans le foot, c’est l’argent… Il a fait grimper les salaires et les indemnités d’une façon extraordinaire. Et l’on constate que depuis qu’il n’est plus impliqué, cela revient à des niveaux plus raisonnables et des dimensions acceptables. Mais cela pose aussi la question de où et pourquoi on joue au foot. Si je suis un mercenaire et que je regarde juste le club où je gagne le plus d’argent, je pense que ça enlève le plaisir. Sincèrement, les deux dernières années, je me suis posé la question : pourquoi est-ce qu’ils vont encore chez Becca ? Parce que ce n’est pas nouveau que les joueurs ne sont pas payés, il fait ça depuis des années !
Avec le départ du plus gros sponsor de la BGL Ligue, il ne reste plus beaucoup d’investisseurs sinon quelques présidents avec leurs fonds propres. Doit-on craindre une baisse de niveau de notre championnat ?
La question qu’on devrait se poser, c’est comment on peut maintenir le niveau malgré les départs de sponsors, avec un budget beaucoup plus réduit. Il s’agit de gérer ses finances, trouver des bonnes recrues qui n’ont pas des exigences hallucinantes. Il y aura toujours des demandes mais de nos jours plus personne ne voudra les payer. C’est une forme de retour à la normale. Et je fais confiance à Romain Ruffier pour trouver les moyens d’attirer les bonnes personnes. Je lui ai donné une délégation totale. Vous savez, je dis toujours : je ne connais rien au foot ! (Rires) Bon, peut-être qu’au bout de 10 ans je commence à connaître quelques choses… Mais au niveau contacts, relations, un directeur sportif est beaucoup mieux placé que moi pour mener les négociations.
Madame la Présidente de la ligue, la présidente du RFCUL a émis l’hypothèse de la création d’une ligue féminine pour mettre fin à l’amateurisme qui entoure le foot féminin. Mais la LFL chez les hommes semble déjà assez discrète… Quels sont ses périmètres d’action ?
La LFL s’occupe de toutes les choses lesquelles on trouve un accord, si ce n’est unanime, du moins à 90%. Et vous pouvez imaginer, avant on était 16 et désormais 32 clubs : donc on doit faire se mettre d’accord au minimum 28 dirigeants de clubs différents. Quand on trouve un accord sur un sujet, c’est évidemment quelque chose de fort parce que nous représentons quand même la majorité. Mais ça prend du temps, ça demande des discussions. Il y a beaucoup de gens à convaincre donc ce n’est ni facile ni rapide.
En ce qui concerne les calendriers par exemple, il y a un énorme flou : chaque club parait faire à sa guise. Par conséquent pour le partenariat avec RTL, choisi à 85% par les clubs, la promesse du match le samedi est déjà abandonnée depuis plusieurs semaines, est-ce que ce n’est pas à la ligue de taper du poing sur la table ?
C’est compliqué car beaucoup de clubs fonctionnent avec des bénévoles. Et ces bénévoles ne sont pas forcément disponibles le samedi. C’est déjà un point qui rend les choses plus difficiles. Je pense que tout va être facilité avec le changement horaire pour l’hiver, quand nous allons jouer le match en prime time le dimanche à 15h. Il y avait aussi des discussions sur ce point: « non mais les bénévoles à ce moment-là ils sont à table », et là j’ai dit « non, on arrête : celui qui ne veut pas n’aura pas de live. » Donc il y a des problèmes d’organisation, et il faut aussi prendre en compte le fait que les négociations ont duré très longtemps jusqu’à ce qu’on trouve un accord. On a dû s’organiser à la va-vite, un peu comme le tout premier streaming à l’époque. Il faut un certain temps de démarrage et de mise en place.
Si la proposition d’une ligue féminine prend corps, est-ce que cela coûterait si cher que cela de mettre à disposition une plate-forme avec les images des caméras VEO des clubs ?
C’est l’idée sur laquelle il faut partir selon moi. Cela coûterait 5.000 € par an environ pour le streaming. Ce qui est bien, c’est que maintenant tous les clubs de BGL Ligue doivent mettre en place une équipe féminine. On arrivera peut-être peu à peu à une situation où la LFL aura une section féminine puisque les équipes seront représentées, en partie du moins.
Le fait que les clubs de Promotion d’Honneur aient intégré la ligue va-t-il permettre de remettre en question le nombre d’équipes en BGL Ligue ?
C’est un peu le souhait de la fédération, mais on n’en a pas encore discuté au sein de la ligue. Il faudra voir dans quelle direction les clubs veulent aller. D’un côté il y a bien évidemment l’aspect financier : si on réduit à 12 ou à 14 clubs, 2 à 4 clubs verront leurs revenus réduire drastiquement. D’un autre côté, il y a la question de savoir si ça rend le championnat plus intéressant. Je ne sais pas. Quand on regarde chez les dames, la saison passée c’était quand même disputé avec un suspense jusqu’à la fin. Est-ce que ce serait la même chose chez les seniors. Peut-être oui. Je suis vraiment partagée. Si l’on commence les discussions à la ligue, ça aura l’avantage que chacun présente ses opinions et parfois ça vous fait voir les choses d’une autre manière.
Vous vous attendez à des discussions animées à l’assemblée générale de la FLF le 25 octobre ?
Je ne pense pas, car finalement nous avons eu une entrevue fin septembre avec la fédération. Le point principal était le budget : la fédération s’est ouverte à ce sujet et d’un résumé sur 2 pages, on est passé à un budget présenté sur 8 à 10 pages avec plus de détails. Ce qu’on voulait, c’est que les choses soient claires et transparentes. Vous savez, quelqu’un qui cache quelque chose a quelque chose à cacher ! S’il n’y a rien à cacher, autant présenter ouvertement le budget.
Chez nos confrères, vous aviez pointé du doigt une certaine misogynie de la part des décideurs. Est-ce que c’est plus difficile d’être une femme de pouvoir dans un monde d’hommes ?
Non je ne crois pas. Je pense que ce qui pose problème, ce n’est pas que je sois une femme, mais mon caractère ne plaît pas ! Ce qui les énerve le plus, c’est que je dis les choses comme je les pense. Je sais que c’est très souvent sanctionné mais je m’en fous ! (Rires) Vous savez, quand vous voyez que d’autres clubs reçoivent des faveurs et vous non, je pense que cela a affaire avec ma personnalité. Mais il n’y a que la vérité qui blesse.
On vous caricature souvent comme la présidente qui menace d’attaquer en justice. C’est fondé ?
Au niveau de cette fameuse question sur les avances des subventions, j’ai dit que c’était tout simplement un traitement inégal. Et ça ne va plus de nos jours : si vous continuez dans cette voie, au pire des cas je fais une plainte pénale. J’en parlais encore hier à mon mari : si on est toujours gentil, à dire « oh oui, d’accord, ça va, mais s’il te plaît fais-moi une avance »… Tout le monde vous prendra pour un moins que rien. Donc quelque part il faut taper du poing sur la table. Je vais dire quelque chose de très méchant, mais si j’étais un homme, je ne le ferais pas… Je me souviens une fois à la LFL, j’ai dit : « je trouve très triste que le seul homme dans la salle qui a des couilles est une femme ! » (Rires) Les hommes ont une façon différente de gérer les choses. Ils ne disent pas les choses directement mais plutôt par personne interposée ou en prenant des détours. Je ne dis pas que c’est mieux ou moins bien. Mais ce n’est certainement pas ma façon de fonctionner.
Si vous étiez candidate à la présidence de la fédération, pensez-vous que vous auriez une franche adhésion de la part des clubs ?
Non… On m’aime ou on ne m’aime pas, et les gens qui ne m’aiment pas sont beaucoup plus nombreux que les premiers ! Je crois que d’une façon générale, 99% des gens ne me connaissent pas du tout. Ils fondent leur jugement sur les social media, avec tout le papotage qui se fait dans un petit pays comme le nôtre.
La discussion s’achève sur une note plus intimiste quand on lui demande ce qu’on gagnerait à connaître d’elle : « Je suis aussi une mère, fière de ses quatre enfants, une épouse heureuse mariée depuis presque 30 ans : on est très axé sur notre famille. » Une amoureuse des chats aussi. En témoignent les griffures fraîches qui lézardent sa main, vestiges récents d’un chaton sauvage trouvé l’avant-veille dans la cave familiale. Le garder n’est pas une option : c’est une évidence. Pourtant, elle avoue être « très rancunière. Pas souvent, mais si je le suis, c’est à fond. Et je ne compte pas changer ! » Tout le monde est prévenu.
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