Franck Mériguet est une figure du basket luxembourgeois. Coach du Basket Esch depuis quinze ans, l’entraîneur emblématique a également eu une carrière professionnelle de haut niveau en France, et des histoires toutes plus folles les unes que les autres. De son match contre les Lakers de Magic Johnson à une fin de carrière prématurée des suites du pathologie cardiaque, entretien long format avec le plus luxembourgeois des coachs français.
MENTAL! : Avant d’être une figure de notre basket national, vous avez eu une belle carrière de joueur. De Limoges au SLUC Nancy, en passant par le Paris Racing… quel est le plus beau moment de votre carrière en club ?
Franck MÉRIGUET : Il y en a deux. Le premier est le titre de champion de France avec le PSG Racing. C’est mon seul titre de Pro A, donc c’est un immense souvenir. Après une saison un peu difficile, on arrive à gagner les playoffs face au Villeurbanne de Delaney Rudd et compagnie. Le deuxième, c’est quand j’avais joué à 17 ans avec Limoges contre les Lakers à Bercy, à l’occasion de l’Open McDonald’s. C’était forcément impressionnant de jouer contre l’équipe de Magic Johnson et Vlade Divac au tout début de ma carrière devant 16.000 personnes. Quand Magic rentre pour l’échauffement et qu’ils s’alignent avec leur nom sur les maillots … On s’est presque arrêté pour les regarder ! Et puis il faut se remettre dans le contexte de l’époque : en 1991, il n’y avait pas les réseaux. Maintenant, la NBA est partout mais à l’époque ce n’était pas le cas, il y avait moins d’accès aux images. On avait des cassettes VHS pour regarder les matchs. C’était encore plus impressionnant de les voir en vrai car il y avait beaucoup moins d’images.
Vous avez également été international, portant à 13 reprises le maillot de l’équipe de France chez les A. Qu’est ce qui vous a le plus marqué lors de vos passages en sélection ?
C’est une sensation assez bizarre d’avoir ce maillot de l’équipe de France sur les épaules, sachant que j’ai fait toutes les sélections de jeunes. Quand j’ai été appelé chez les A, j’ai eu évidemment beaucoup de fierté, mais j’étais aussi très impressionné. C’est tout bête, mais rien que participer aux hymnes avant un match, c’est un rêve de gosse qui s’accomplit. Après, il faut quand même relativiser car je n’étais pas un joueur majeur et je n’ai eu que quelques sélections, même si ça reste de bons souvenirs. Pour être honnête, on ne se rend pas trop compte sur le moment, car c’est une suite de la carrière, c’est notre quotidien où on s’entraîne pour ça. Je pense que c’est surtout après, une fois la carrière terminée, qu’on se rend compte du chemin parcouru et de tout ce qu’on a accompli.
« Dirk Nowitzki n’était pas encore en NBA, mais tout le monde en parlait déjà comme d’un phénomène »
Quels joueurs vous ont le plus marqué ?
Il y a deux joueurs qui me reviennent tout de suite contre lesquels j’ai joué. Le premier, c’était Dirk Nowitzki qui honorait l’une de ses premières sélections avec l’Allemagne. Il n’était pas encore en NBA mais tout le monde en parlait déjà comme un phénomène très précoce. Je me revois parler avec d’autres joueurs et on était impressionné par son niveau. Lors d’un France-Turquie, il y avait également eu Türkoğlu qui avait fait un gros match. Quand on voit les carrières qu’ils font derrière, forcément c’était du haut niveau. Je me souviens notamment très bien de Türkoğlu car j’avais dû défendre sur lui et j’avais passé une sale soirée (rires). Pour les joueurs avec lesquels j’ai joué, à mon époque, celui qui dominait et que l’on surnommait le maestro, c’était Antoine Rigaudeau. Il était au-dessus et dégageait une sérénité impressionnante. Il a fait une sacrée carrière d’Euroleague. Il y avait également les Stéphane Risacher, Yann Bonato et Laurent Sciarra qui étaient aussi de sacrés joueurs.
En parlant de Risacher, ça ne vous donne pas un petit coup de vieux de voir son fils jouer en NBA ?
Ah c’est clair ! En plus, je suis resté très proche du père, donc il me raconte un peu toutes les aventures du fiston aux États-Unis depuis sa draft en 2024. Même lui me dit que c’est un autre monde et qu’il est encore sur son nuage. Quand on a son fils qui est drafté en première position en NBA, je ne vois pas ce qu’on peut faire de mieux.
Il faut dire qu’à votre époque, les portes de la NBA étaient beaucoup plus fermées qu’aujourd’hui où bon nombre des meilleurs joueurs sont même des Européens…
Évidemment. Tout a évolué et je pense que de nos jours, les joueurs se prennent en charge beaucoup plus tôt. Que ce soit en entraînement individuel, en préparation physique… Aujourd’hui, les joueurs ont vraiment l’objectif de jouer en NBA et savent que c’est possible. Ce pont est devenu naturel, et il y a beaucoup de joueurs qui partent dans des universités américaines pour tenter leur chance.
Une opportunité que vous avez pourtant eue à votre époque avec Wake Forest ?
C’est vrai que cette université m’avait demandé, et ils étaient même venus jusqu’à Limoges, club où j’évoluais à l’époque, mais j’avais de suite refusé. Partir aux États-Unis, à l’époque, c’était la grosse aventure. C’est sûr que quand je parle aujourd’hui avec des Américains en leur expliquant que j’ai refusé l’une des plus grosses universités des États-Unis à l’époque où je jouais, ils n’en reviennent pas. L’opportunité ne s’est évidemment pas représentée par la suite et j’ai fait ma carrière en France.
Est-ce que ça a parfois été difficile de garder les pieds sur terre à certains moments où le succès était présent ? Est-ce qu’on arrive à rationaliser ?
Ça n’a jamais été un souci pour moi, je n’ai jamais été un enflammé. J’ai toujours eu les pieds sur terre, parfois même un peu trop. C’est dû aussi à mon éducation et le milieu d’où je viens. Donc non je n’ai jamais eu de souci à rationaliser tout ça. Mais pour réussir, il faut avoir une part d’égoïsme, de grosse ambition qui, en France, peut parfois passer pour de l’arrogance. Je me souviens que je jouais encore quand Tony Parker faisait ses débuts. À l’époque, il disait qu’il allait tout casser en NBA, être All-Star, et nous on le prenait pour un gamin qui avait la grosse tête. Derrière, on a vu ce que ça a donné. Donc il faut cette confiance et cette part d’égoïsme pour réussir. Il avait la mentalité américaine finalement.
Votre carrière de joueur s’arrête brutalement quand on vous décelé une pathologie cardiaque : comment fait-on pour se relever, quand on vous enlève ce à quoi vous consacriez une bonne partie de votre vie ?
Ça se fait en plusieurs phases. Il y a la première phase, où on prend une grosse enclume sur la tête, où on ne comprend pas. Quand du jour au lendemain on vous dit « le sport c’est fini » et pas seulement celui de haut niveau, c’est très dur à encaisser. Et après il y a la deuxième phase où on se demande ce qu’on va faire, quelle va être la reconversion. On passe par plusieurs étapes et au début, je ne voulais plus entendre parler de basket. Mais petit à petit, je suis naturellement revenu à ce sport. J’ai été consultant sur Sport+ pour faire les matchs, ce qui m’a permis de remettre un pied dedans. Derrière, je rentre dans le sud de la France d’où je suis originaire, et un club de Nationale 2 cherchait un entraîneur. Je finis par accepter et depuis, je suis resté entraîneur (rires).
Est-ce qu’au moment où tout s’arrête, vous avez pu être suivi afin de vous aider à gérer cela ?
C’était moins développé à l’époque que maintenant et je n’ai reçu aucune aide d’aucune sorte. Mais c’est là où l’entourage est super important. J’ai été bien entouré, que ce soit la famille ou les amis, et cela m’a permis d’un peu mieux encaisser le choc. Il y avait deux paramètres : le fait que j’arrête le basket et le fait que la cardiologue me dise que je ne devais plus dépasser les 120 pulsations car j’étais en situation de risque si je dépassais ce seuil. Et mes proches m’ont aidé à regarder devant pour réussir à avancer.
Et qu’est ce qui est le plus stressant : jouer ou entraîner ?
C’est plus simple de jouer, car en tant que joueur, tu fais un mauvais match le week-end, tu reviens le lundi matin pour t’entraîner et te remettre dedans, en réglant ce qui n’a pas été le week-end. En tant que coach, tu dois justement solutionner les problèmes pour remettre l’équipe en marche et gagner le prochain match. Il y a plus un système de réflexion quand tu es coach, alors que joueur, c’est un peu plus égoïste, autocentré. C’est évidemment impossible, mais il faudrait être entraîneur avant d’être joueur. Car quand on passe de l’autre côté, on a une vision globale du basket et de la tactique, et c’est hyper intéressant de voir tout ça au sens large. On aurait beaucoup plus de joueurs qui comprendraient le jeu.
Comment êtes-vous arrivé chez nous ?
J’étais coach à Longwy en Nationale 1 en 2008. J’ai fait deux ans de coaching là-bas et quand j’ai arrêté, Paul Schulté qui était déjà président du Basket Esch à l’époque m’a contacté pour venir ici. L’avantage, c’est de tomber sur un club qui m’a fait confiance et m’a laissé travailler toutes ces années, malgré ma pause entre 2013 et 2015 pour coacher l’équipe nationale. Ça, ça n’a pas de prix. En France, tu enchaînes quatre défaites, tu dois chercher un nouveau travail. On repart dans un système professionnel où je n’ai plus envie de revenir. Ici, j’ai une stabilité et on a créé cette relation qui fait que j’ai plus de temps, car même au Luxembourg, les coachs se succèdent rapidement dans d’autres clubs.
Vous avez connu les sélections espoirs en France en tant que joueur et vous connaissez également bien le basket luxembourgeois : le Grand-Duché est-il sur la bonne voie ?
Je pense qu’au niveau de l’équipe nationale, on voit une évolution positive et je peux en attester car j’ai été sélectionneur pendant deux ans. On voit de plus en plus de joueurs avec des contrats pro à l’étranger. Les résultats sont en constante progression chez les femmes et les hommes. Le Luxembourg est un petit pays donc ça reste compliqué mais la fédération met de plus en plus de moyens pour que les structures de formation soient de plus en plus efficaces. Ça passe par des bons entraîneurs de jeunes, qui ont un coût non négligeable pour des clubs qui ne sont, je le rappelle, pas professionnels. Mais, l’évolution commence à se faire ressentir.
La présence de joueurs professionnels au sein des effectifs pourra-t-elle aider à faire progresser les joueurs locaux ?
Je suis d’avis que des joueurs professionnels, américains ou autres, permettent de tirer les autres vers le haut. C’est sûr que ça ne fait pas plaisir aux joueurs du banc qui jouent peu et vont jouer encore moins. Mais ça peut être bénéfique pour les joueurs qui sont aux portes de l’équipe nationale, voire qui y sont déjà. Là, c’est intéressant d’avoir des entraînements au quotidien avec des joueurs professionnels autour d’eux. Il ne faut pas être fermé à cela, il faut simplement trouver un certain équilibre.
Mental Médias SARL
15 Rue Emile Mark
L-4620 Differdange LUXEMBOURG