En 1961, nuit magique au Grand-Duché

C’était il y a exactement quarante ans. En 1961, au stade Josy Barthel, le Luxembourg accomplit l’un de ses plus grands exploits en faisant tomber le Portugal d’un certain Eusebio 4-2. Une victoire restée mythique au pays et qui amorce le début de certaines des plus belles années de l’équipe nationale. 

Pour tout fan de football, le nom d’Eusebio signifie quelque chose. Si peu d’entre nous avons eu la chance de le voir fouler les terrains, sa notoriété, ses buts, et ses titres font aisément de lui un des plus grands joueurs du vingtième siècle. Double vainqueur de la Ligue des Champions en titre et en pleine possession de ses moyens, l’attaquant racé est le fer de lance de cette Seleção irrésistible. Une sélection qui, face à un Luxembourg baffé 6-0 lors de leur dernière confrontation à Lisbonne et sur une série de onze défaites consécutives, avance plus que confiante.

Pourtant, pour les joueurs du Grand-Duché, il y a un semblant d’espoir. Les dernières rencontres, si elles se sont soldés par des défaites, n’en demeurent pas moins prometteuses en termes de jeu. Aussi, c’est la première fois depuis cinq rencontres que les Roud Leiwen jouent à domicile. Un facteur non négligeable pour des sélections aux ambitions plus modestes, et qui comptent sur le public pour leur donner ce surplus d’énergie.

Le public, justement, a répondu présent. Dans un Josy Barthel absolument comble, le Luxembourg espère enfin pouvoir voir ses espoirs d’exploits se concrétiser. Et dès l’entame du match, une certaine folie s’empare de la rencontre. Les deux équipes, résolument portées vers l’offensive se rendent coup pour coup. Le portier Poli fait preuve de ses talents en arrêtant plusieurs tentatives des lusitaniens. De l’autre côté, Moselaner puis Hoffmann testent eux aussi la solidité de la défense portugaise, sans succès. La rencontre continue dans ce rythme extrêmement plaisant dans lequel l’hôte du jour tient la dragée haute à l’ogre ibérique. Et, à la 22e minute, sur un service parfait de Cirelli, Ady Schmit envoie une lourde frappe sous la barre que le gardien Pereira ne peut parer. Sous les applaudissements massifs de tout un stade, le Grand-Duché est en train de faire vaciller le géant portugais.

Passée cette ouverture du score, la joute reprend sur le même rythme : les coéquipiers d’Eusebio essaient encore et toujours de débloquer leur compteur tandis que de l’autre côté, le Luxembourg sévit en contre et porte encore et toujours le danger sur la cage de Pereira. Et, malgré quelques nouvelles offensives de part et d’autre, l’arbitre siffle la mi-temps sur ce score étonnant mais tout sauf injuste.

Au retour des vestiaires, un ajustement tactique de l’entraîneur Robert Heinz replace Cirelli et Schneider dans une position plus défensive. Ce changement se matérialise sur une nette possession des visiteurs qui se retrouvent à conserver la balle, mais ont un mal fou à l’utiliser de manière fructueuse. Alors que les dix premières minutes de cette deuxième partie de match consistent en un attaque défense de plus en plus intense, le Portugal donne le bâton pour se faire battre. Une incompréhension entre Lino et Morato permet à Schmit, encore lui, de récupérer la balle, s’avancer au but et, dans l’incrédulité total offrir le but du break à son équipe. Groggy de ce deuxième but encaissé, la Seleção s’apprête à passer d’une situation bien mal embarquée à un véritable cauchemar. À peine deux minutes plus tard, Vandivinit exploite un ballon mal dégagée par l’arrière garde portugaise et remise sur l’inarrêtable buteur Schmit qui, d’une frappe assurée fait chavirer cette soirée dans le délire le plus total.

Eusebio et consorts se jettent alors à l’abordage de la cage des Roud Leiwen, et Poli, encore lui, joue à merveille son rôle de sauveur en enchaînant les parades sous les applaudissements et encouragements d’un public conscient que l’histoire est en marche. Et, fidèle à son ambition, le Luxembourg continue d’asséner des contre-attaques dangereuses que Pereira détourne avec grande difficulté. 

C’est alors qu’Eusebio rappelle au monde pourquoi il est considéré comme le meilleur européen de son époque. Récupérant la balle au milieu de terrain, le fantasque attaquant parvient à éviter les tacles sur lui avant de lâcher une frappe énorme et imparable. On joue alors la 83è minute et l’euphorie cède alors à la peur d’un retour improbable. 

Mais cette soirée se devait d’être celle des Lions Rouges. A peine une minute plus tard, sur une action d’école qui implique Vandivinit, Schenider, Cirelli puis Hoffmann, ce dernier, des suites d’un effort physique impressionnant parvient à faire la différence sur ses adversaires avant d’amener le score à 4-1. Avec ce but, l’engouement du Portugal était totalement douché. De révigorés, les joueurs lusitaniens passaient à abattus. Il était trop tard, et l’écart trop grand, pour espérer encore éviter l’humiliation de la défaite. Hoffmann, encore lui, passait à deux doigts d’inscrire un cinquième but. Le public, dans un état d’eupgorie, ne lui en tient évidemment pas rigueur. Tout comme le but tardif de Yauca n’arrive pas à contenir la joie de tous les chanceux présents au Josy Barthel.

Les scènes de victoire finale restent mythique dans l’histoire du pays. Jamais des vainqueurs n’avaient autant été célébrés. Dans une ambiance euphorique, les spectateurs envahissent la pelouse et fêtent en triomphe leurs héros, les portant sur leurs épaules jusqu’au vestiaire.

Si le score demeure un énorme camouflet pour la Seleção, il convient de souligner que, bien que surprenant, ce succès n’est en rien volé. Porté par un excellent plan tactique, une ambition de jeu et un public plus que jamais douzième homme, les joueurs de Robert Heinz ont effectué ce soir-là une prestation de très haut niveau, dignes des meilleurs sélections de l’époque. Loin de se recroqueviller en espérant le miracle, le choix de jouer et regarder droit dans les yeux son adversaire du jour fut gagnant. 

Au-delà de la joie au Grand-Duché, cet énorme exploit fit le tour du monde. La presse sportive à travers l’Europe commentait sur ce résultat et était unanime dans son compte-rendu de la rencontre. A l’image du Républicain Lorrain qui écrit « surprenant mais logique vainqueur, le Luxembourg quitte la Coupe du Monde sur un exploit », chose rare dans la victoire d’un petit poucet, c’est bien les qualités de ce dernier qui sont mises en valeur, et non la faille de l’ogre.

Ce 8 octobre 1961, la sélection luxembourgeoise accomplit l’un de ses plus gros exploits. Au même titre que le miracle de Rotterdam ou le nul héroïque à Toulouse, cette victoire est entrée dans la postérité et demeure un souvenir impérissable. Accueillir un Portugal archi favori, avec une star mondiale dans l’équipe, et surprendre l’adversaire des suites d’une partition offensive et aboutie. Et si, quarante ans plus tard, l’exploit se répétait de nouveau ?

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