Paris Open Karaté : en immersion dans la tête de Jenny Warling

Pendant quatre jours, à l’occasion du Paris Open Karate, un des tournois internationaux les plus prestigieux au monde, Mental ! a eu le privilège de suivre minute par minute la numéro un luxembourgeoise Jenny Warling. Du voyage la veille du tournoi à la remise de sa médaille de bronze, en passant par son combat perdu contre la numéro un mondiale et sa concentration pour rebondir puis décrocher le podium, la karatéka s’est confiée sans détour. Plongée dans la tête et le cœur d’une championne hors du commun.

Article issu de notre magazine Mental! #18

 Jeudi 20 janvier, 11 h 35, TGV Luxembourg-Paris

 Jenny Warling est détendue et sereine, entourée de ses compatriotes Laura Hoffmann, Pola Giorgetti, Anne Steinmetz et de leur entraîneur Raphael Veras. Dans le carré qu’occupent les athlètes, l’ambiance est plutôt cool et apaisée. Si on n’avait pas les équipements floqués « Luxembourg Karaté » comme indices, on pourrait penser à quatre copines qui partent en week-end. Et pourtant… Le groupe file à travers la campagne française pour rejoindre un des tournois internationaux les plus prestigieux. « C’est le premier de la saison, donc l’idée est de voir où j’en suis, où je me situe, de retrouver le rythme de la compétition avant le K1 à Fujairah du 18 au 20 février, qualificatif pour les World Games. À Paris, il y a toujours du niveau dans ma catégorie, les numéros un et deux mondiales (l’Ukrainienne Anzhelika Terliuga et la Brésilienne Valéria Kumizaki) seront là, donc c’est un bon challenge pour moi, même si je ne suis pas encore au top dans ma préparation. J’ai envie de gagner ! », déclare Jenny avec un grand sourire.

Jeudi 20 janvier, début de soirée, hall de l’hôtel où loge l’équipe, à quelques encablures du stade Pierre de Coubertin

Jenny Warling revient de la pesée et a découvert le tirage qui l’attend. Au premier tour de sa catégorie (- 55 kg), elle tombe contre une Slovaque de 18 ans, Natalia Vargova. « Je ne la connais pas il me semble, c’est une jeune qui monte à peine en seniors, donc elle sera sûrement très motivée. Je vais voir si elle combat plutôt offensive ou défensive et je m’adapterai. » Si elle passe ce tour, la karatéka luxembourgeoise sait déjà, sauf grande surprise, que la numéro un mondiale, Anzhelika Terliuga, se dressera sur son chemin. « C’est toujours bien, je trouve, d’avoir l’occasion d’affronter les meilleures… J’ai déjà de la chance de ne pas tomber sur elle dès le premier tour ! », s’esclaffe Jenny. « Anzhelika, on se connaît par cœur, on s’est déjà affrontées au moins huit fois, tout est jouable. Ce sera un combat tactique, elle a un bon oura (coup de pied) dont je dois me méfier. Mais il faut d’abord que je passe le premier tour. » Après un restaurant convivial et toujours détendu avec son coach et ses coéquipières, l’athlète de haut niveau part se reposer dans sa chambre pour une bonne nuit de sommeil.

Vendredi 21 janvier, 10 h 15, salle d’échauffement du stade Pierre de Coubertin, environ une heure avant l’entrée en compétition

Alors que le public prend progressivement place dans la belle enceinte parisienne, Jenny Warling s’échauffe avec Laura Hoffmann dans une salle annexe, sous les yeux de leur entraîneur, au milieu d’autres athlètes qui répètent leurs chorégraphies de combat. Quelques cris, les proches qui glissent des conseils à l’oreille, le bruit des pieds qui frottent contre le tatami. Jenny, elle, a toujours le sourire : « Je me sens bien, j’ai bien dormi. Il fait un peu froid, mais tout va bien. Je ne m’échauffe pas trop en général, pour éviter la fatigue… Je fais environ trente minutes en fonction de l’attente. » Les karatékas présents dans la salle d’échauffement sont de plus en plus nombreux, l’agitation gagne le stade Pierre de Coubertin et le sourire sur le visage de Jenny Warling laisse progressivement place à une concentration maximale. L’horloge tourne, les voix des commentateurs se font entendre dans les haut-parleurs, la clameur descend des tribunes. La combattante du Grand-Duché ne va pas tarder à faire son entrée dans l’arène…

Vendredi 21 janvier, de 11 h 30 à 13 h, stade Pierre de Coubertin, l’heure de vérité

Dans les compétitions de karaté, tout va très vite, les combats de qualification s’enchaînent, les sportifs n’ayant que quelques minutes pour récupérer entre le premier et le deuxième tour… Jenny Warling ne tremble pas contre sa première adversaire, Natalia Vargova (elle se souvient finalement l’avoir affrontée au moins une fois) et l’emporte assez sereinement 4-0. Mais comme prévu, c’est la numéro un mondiale, terreur des tatamis en catégorie -55 kg, Anzhelika Terliuga, qui s’avance face à la Luxembourgeoise. Pendant trois minutes, le combat est extrêmement tendu, serré, les deux championnes se tournant autour, évitant à tout prix la faute qui entraînerait le coup victorieux de la rivale. L’Ukrainienne prend hélas le dessus et l’emporte 2-1. Jenny reviendra un peu plus tard sur le déroulé de cette défaite : « Elle marque le premier point après arbitrage vidéo sur un bras avant, c’est un peu dommage pour moi, surtout qu’on n’a pas eu la même chance sur un point que je pense marquer et pour lequel on demande aussi la vidéo. Après, c’était serré ; en plus, je ne suis pas dans ma meilleure forme. J’aurais pu bouger davantage, parce que je sais qu’elle n’aime pas ça, mais on n’avait pas les tatamis officiels qu’on trouve dans les grandes compétitions, et ça glissait… Je ne pouvais pas bouger comme je voulais. »

Jenny Warling n’a pas le temps de trop ruminer, car un match de repêchage l’attend quelques minutes seulement après cette désillusion, face à la Française Hélène Thiébaut… Et c’est dans ces moments-là que l’on reconnaît les grandes championnes ! Remobilisée en quelques instants, concentrée et déterminée comme jamais, elle asphyxie et écrase littéralement son adversaire 9-0. Elle s’offre une place pour le combat de dimanche pour le bronze ! Le camp luxembourgeois exulte. Quelques minutes après cette victoire, on la retrouve dans les travées de Coubertin pour l’analyse de ce switch incroyable afin d’aller arracher un combat pour le podium avec rage, après une défaite frustrante : « Je suis rapidement passée à autre chose, car la victoire était quand même méritée pour Anzhelika, elle n’est pas numéro un mondiale pour rien. Avec la Française que j’affronte ensuite en barrage, je savais que j’avais un meilleur niveau. Raphael m’a conseillé de tenter davantage de coups de pied, ce que je ne fais pas souvent, et ça a bien marché. Je suis contente d’avoir testé d’autres coups. Au final, je suis très satisfaite de la compétition pour l’instant. Et l’objectif, c’est de gagner la médaille de bronze dimanche ! »

À quelques mètres d’elle, l’entraîneur national Raphael Veras ne cache pas sa satisfaction : « Jenny est fantastique, même si elle perd de pas grand-chose face à Anzhelika. Elle est très mature, maîtrise ses combats. Maintenant, on est concentrés sur la médaille de bronze dimanche et on espère bien la ramener au Luxembourg ! »

Satisfaite du devoir accompli à ce stade, Jenny Warling part faire une sieste à l’hôtel dans l’après-midi, après avoir mangé un bout. C’est l’heure du repos.

Samedi 22 janvier, le jour off

Le samedi, c’est journée off pour Jenny dans cette compétition. Elle a donc tout le loisir de suivre les combats de sa compatriote en catégorie poids lourds (+ 68 kg), Pola Giorgetti, qui ne parvient hélas pas à gagner son combat de repêchage. Le clan luxembourgeois reste néanmoins une bonne partie de la journée dans les tribunes du stade pour observer l’ensemble des combats. Notre championne apprécie cette coupure : « J’aime bien en général avoir une journée off comme ça. Je me sens en forme, j’ai bien récupéré déjà hier après-midi. Cela m’arrive d’être plus fatiguée quand j’ai des combats très physiques, plus durs. Je ne me suis pas fait de petites blessures, ce qui est également important, car il peut arriver, quand les matchs s’enchaînent, de se blesser légèrement et d’être diminuée pour la suite de la compétition. Là, en début de soirée, je vais analyser les combats de mon adversaire de demain (la Lettone Marija Luize Muizniece) en regardant des vidéos. Je vais notamment revoir avec Raphael le combat où je l’avais déjà affrontée. Mais je ne dois pas me prendre la tête et trop faire le match à l’avance, car il y a toujours une part d’imprévisible. Je dois avoir un plan, mais il faut laisser une place au feeling et à l’instinct sur le moment. » Ce soir-là encore, ambiance calme et détendue dans le hall de l’hôtel. Après un bon repas collectif, Jenny repart dans sa chambre à quelques heures du grand moment.

Dimanche 23 janvier, le jour de gloire

9 h du matin. Jenny Warling fait face à son entraîneur à la table du petit-déjeuner. Ils ne sont que tous les deux, le maître et sa championne, c’est leur moment. Les derniers conseils, les derniers encouragements, les yeux dans les yeux. Les effluves du café chaud réchauffent leurs mains et leurs visages. Dans quelques minutes, c’est la ferveur survoltée d’un stade un jour de finales et de combats pour le podium qui emplira leurs corps et emportera leurs cœurs.

11 h 30. L’ambiance est en effet complètement différente le dimanche, jour des grands combats. Les quelques encouragements et cris d’un public parsemé lors des qualifications ont laissé la place à une foule compacte dont la clameur fait vibrer les murs du stade. La scénographie aussi a changé : plus qu’un seul tatami au lieu de quatre, les spectateurs n’ont plus le choix… Les deux combattantes sont au centre de toutes les attentions. Jenny Warling et la Lettone font leur entrée sous les projecteurs et l’annonce du speaker, nourries par les applaudissements de la foule.

Tactique, sereine, pleine de sang-froid… en un mot, intraitable, Jenny Warling maîtrise son combat et ne laisse aucune brèche à son adversaire. Elle inscrit deux yuko pour mener 2-0. Le piège est refermé, Marija Luize Muizniece ne reverra plus la lumière. Les trois minutes se sont écoulées… Jenny Warling décroche la médaille de bronze !

 « Au début, le combat était assez tranquille, elle me connaît donc elle essayait de jouer tactique, de me pousser à attaquer. J’ai bien géré, je ne me suis pas jetée. Bon, les tatamis étaient toujours aussi glissants que vendredi… Après, quand j’ai marqué le premier point, cela a été beaucoup plus facile, même si elle a continué à attaquer. C’est pour ça que c’était important de marquer le deuxième ! J’ai fait une ou deux petites fautes sur la fin, mais qui, heureusement, n’ont eu aucune incidence sur l’issue du combat », analyse la championne quelques minutes après sa victoire. « Je vais capitaliser là-dessus, cela me motive pour la suite. Il le faut parce que ça va être chaud dès le mois prochain au K1 à Fujairah, qualificatif pour les World Games », poursuit-elle immédiatement. La marque des grands : à peine médaillée, jamais rassasiée… elle se projette déjà sur le prochain objectif.

17 h 30. Jenny Warling monte sur la troisième marche du podium du Paris Open Karate aux côtés d’Assma Charif (il y a deux troisième), Tylla Levacher et Anzhelika Terliuga. Face aux photographes et aux officiels, avec ses yeux et son sourire francs, elle partage un bonheur simple et sincère, à son image, plein d’un mélange de fierté et d’humilité. À peine descendue du podium, son regard est déjà tourné vers le K1 de Fujairah… Une médaille c’est bien, mais les prochaines valent plus.

20 h. Le TVG Paris-Luxembourg file à toute allure dans la nuit. Les quatre Luxembourgeoises rient, leur entraîneur s’est assoupi après un week-end chargé en émotions. Jenny Warling, l’étoile du karaté luxembourgeois, ramène une nouvelle médaille au pays dans l’anonymat de ce wagon… comme si de rien n’était. Combien en accrochera-t-elle encore autour de son cou ?

Le visage collé à la vitre, le regard tourné vers le ciel, elle fait comprendre à l’horizon que son appétit de victoire reste immense et insondable.  

François Pradayrol

  

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