L’un des nouveaux hommes forts des Rout Léiwen se confie sans concession sur sa saison, ses ambitions pour la sélection, sans oublier cette image de défenseur dur sur l’homme et à la langue bien pendue, véritable cauchemar des attaquants adverses, qu’il aime cultiver. N’oubliez pas vos protège-tibias, on part pour une interview les deux pieds décollés !
Tu sors d’une saison pleine, comment te sens-tu ?
Seid KORAC : Honnêtement, je me sens bien, malgré une longue saison. Les vacances avec mes parents font du bien ! Quand tu es footballeur professionnel, tu n’as pas toujours l’opportunité de passer du temps avec tes proches donc je me suis dit que j’allais passer avec eux les quelques jours de libres que j’avais avant d’aller en équipe nationale. On est en Turquie et avant votre appel, j’étais à la salle de sport avec mon père pour m’entretenir.
C’était ta deuxième saison à Vojvodina en Serbie, dans un pays forcément particulier à tes yeux : comment juges-tu ta saison ?
C’est toujours difficile de se juger soi-même si le collectif n’a pas eu le succès escompté. C’est dommage car ce que nous nous étions fixés comme objectifs au début de la saison était tout proche d’être accomplis. Nous avions notre destin entre nos mains sur les deux dernières rencontres, mais entre la défaite en finale de la coupe (ndlr : 3-0 contre l’Étoile Rouge de Belgrade) et le nul à la dernière journée de championnat, ça s’est mal fini et on a manqué l’Europe d’un rien. À titre personnel, j’ai quand même figuré dans l’équipe type de la saison et je considère avoir beaucoup évolué, avec un niveau différent de celui que j’avais encore au début de la saison. Ça fait plaisir de voir que tout le travail effectué au quotidien paie.
L’Étoile Rouge est vraiment au-dessus du reste du championnat ? Tu le sens quand tu les affrontes ?
Franchement, je dirais que oui. C’est une équipe habituée à jouer l’Europe, qui a d’ailleurs battu Stuttgart et les Young Boys. Contre le Benfica de Leo, ils perdent de peu, donc c’est forcément une très belle équipe. Après, dans le football, il faut parfois un peu de chance et je pense qu’en finale de la coupe, il y avait la possibilité de faire basculer la rencontre en notre faveur. Mais les nombreuses interruptions dues à l’usage de fumigènes ont un peu coupé le rythme et derrière, on s’est fait crucifier en fin de match.
On sait que les ambiances sont très chaudes en Serbie, et que le football est élevé quasiment au rang de religion. Comment c’est d’évoluer dans un pays qui vit et respire football ?
Si tu joues bien, ça va car tout le monde t’aime (rires). Si tu joues mal, c’est le contraire. Les gens ici sont tellement passionnés qu’en tant que joueur, tu prends une place importante dans leur cœur. Parfois, tu vas au café et les gens te paient ton café, pareil chez le coiffeur où certaines personnes peuvent payer pour toi. C’est très beau à voir et pour mon cas personnel, ça se passe bien.
Tu fais partie des « nouveaux » visages de la sélection, dans laquelle tu t’es d’ailleurs rapidement imposé comme un titulaire indiscutable ces derniers mois : comment te sens-tu au sein de ce groupe ?
La première chose à dire est qu’il est très facile de rentrer dans le groupe et de s’intégrer, car il y a des bons caractères. Je me suis toujours bien senti, même quand je suis venu alors que je n’avais que 17 ans. C’est aussi pour ça que j’essaie de faire de même avec Brian Madjo et les autres afin de bien les intégrer et que tout se passe pour le mieux de leur côté. Si tu es là, c’est que tu as la qualité pour faire partie du groupe. Si on parle de ce qui se passe sur le terrain depuis quelques mois en équipe nationale, je suis évidemment très satisfait de pouvoir aider l’équipe et toute une nation. Je suis toujours fier de porter le maillot du Luxembourg.
Tu as seulement 12 sélections mais tu as déjà inscrit deux buts, à chaque fois décisifs : qu’est-ce que ça fait notamment de marquer le but de la victoire contre la Suède et de remporter ton duel face à Alexander Isak, le tout à la maison ?
Quand j’ai marqué ce but contre la Suède, j’étais forcément content sur le moment et après la rencontre, mais le lendemain, j’étais déjà passé à autre chose et j’étais reparti au travail. J’ai bossé dur toute ma vie pour en arriver là où je suis aujourd’hui, en progressant petit à petit. Si tu regardes ma carrière, j’ai été plusieurs saisons en Allemagne, puis ensuite au Danemark en D2, 6 mois à Chypre, une année en Suède et ensuite la Serbie… Je savais que je jouerais beaucoup à Vojvodina et je savais que j’allais pouvoir m’améliorer ici, car je sais combien je travaille. La confiance vient par le travail, travailler dur. Tout est bien fait de mon côté et ça me permet de jouer avec beaucoup de confiance.
Justement, tu es encore un jeune joueur mais tu as déjà connu 6 pays et autant de football différents : quel est celui où tu trouvais que ton style de jeu convenait le mieux ?
C’est sûr que c’était la Suède, car là-bas, ça joue avec beaucoup d’intensité. Mais l’endroit où je me suis le plus amélioré d’un point de vue personnel, c’était à Chypre. J’avais un bon coach, David Badia. Un Espagnol qui m’avait beaucoup aidé, car lui aussi était un défenseur central qui jouait avec beaucoup d’émotion quand il était joueur, et il m’a appris à me canaliser, ainsi qu’à m’améliorer sur l’utilisation du ballon à la relance. Durant ces quelques mois là-bas, j’ai beaucoup évolué.
Est-ce qu’on peut dire que le Luxembourg a trouvé son nouveau référent en défense centrale pour les 10 ans à venir ?
Bien sûr, même pour les 15 prochaines années (rires) !
La question est légitime car tu es l’un des nouveaux visages de cette sélection luxembourgeoise et même déjà l’un des chouchous du public : as-tu conscience de ta nouvelle notoriété au pays et comment la vis-tu ?
Plus sérieusement, j’essaie juste de me donner à fond, à chaque entraînement, chaque match. Dans chaque club où je suis passé, les supporters m’aimaient beaucoup, et c’est également le cas à Vojvodina où ils chantent mon nom. C’est quelque chose qui vient avec ton comportement sur le terrain. Moi aussi j’aime regarder le foot, et quand je regarde les rencontres du club que je supporte, à savoir le Novi Pazar, il y a des joueurs que je ne connais même pas mais que j’aime, grâce à leur attitude et du fait de leurs performances pour mon club. Donc forcément, c’est très satisfaisant de voir qu’on rend les supporters heureux grâce à ce qu’on fait sur le terrain.
En parlant du terrain, on te voit parfois célébrer tes interventions défensives comme un but : d’où te vient cette rage que tu mets dans ton football ? Dirais-tu que ça peut parfois servir à impressionner un peu l’adversaire ?
Pour répondre à la partie sur l’adversaire : bien sûr que cela peut servir à impressionner l’autre. Quand j’étais petit, avec mes deux grands frères qui jouaient au foot, il y avait beaucoup de provocation sur le terrain. On faisait souvent des un contre un dans la rue et j’étais toujours le petit maigre, je n’avais pas la puissance ni la technique. J’essayais donc de tout donner et d’avoir plus envie que les autres pour gagner, et quand je gagnais, j’étais tellement content que je laissais encore plus sortir mes émotions. J’ai toujours joué avec beaucoup de provocations et d’émotions. Et avec mes frères, celui qui perdait pleurait toujours. Ça vient donc de là, et même jusqu’à 13-14 ans, je pleurais dès que je perdais (rires). Je ne supportais pas la défaite, je voulais gagner à tout prix, même aux entrainements.
On sent que dans tes matchs, un véritable combat physique et mental s’instaure avec l’attaquant dont tu t’occupes : comment abordes-tu tes affrontements avec les offensifs adverses, notamment d’un point de vue mental ?
Évidemment que l’impact mental compte, et c’est même très important. Pour moi, le plus important reste de jouer avec confiance, car un joueur pas en confiance ne pourra pas montrer son meilleur visage. Mais le mental compte évidemment beaucoup et je suis un joueur qui trashtalk beaucoup sur le terrain, c’est normal. Et j’aime beaucoup entendre dire que les attaquants parlent mal de moi, qu’ils ne veulent plus jouer contre moi ou qu’ils ont mal partout.
On ne veut pas paraître trop cliché, mais est-ce que tu dirais que le côté serbe peut expliquer ton goût prononcé pour les duels et l’intensité physique ?
Évidemment, je pense qu’il y a un lien. On sait que le football Serbe est toujours joué avec beaucoup d’impact et d’émotion, à l’image de leur équipe nationale. Ça doit en partie expliquer la manière dont je joue.
Rassure-nous quand même : le Seid Korac dans la vraie vie est plus calme que le Seid Korac que l’on voit sur un terrain ?
Bien sûr (rires). Dans la vraie vie, c’est quasiment impossible de me fâcher en dehors du terrain. Mais sur le terrain, j’essaie d’être le plus dur possible. Évidemment, je me suis inspiré de défenseurs que je voyais à la télévision étant petit, comme Nemanja Vidic ou Sergio Ramos, car c’était des défenseurs que personne ne voulait affronter. Vidic notamment m’a vraiment poussé à devenir défenseur, car j’adorais sa mentalité et sa personnalité sur le terrain. Il mettait la tête là où la plupart n’auraient pas osé mettre le pied. Quand tu le regardais jouer, tu savais déjà que l’équipe pour laquelle il jouait partait avec un bel avantage pour gagner le match.
Est-ce qu’il y a un attaquant qui t’a marqué quand tu l’as affronté ?
J’ai joué contre de très bons attaquants, mais je n’ai jamais eu la sensation que mon vis-à-vis était au-dessus de moi et que je ne pouvais rien faire, jamais. Tout était entre mes mains. Après évidemment, quand tu tombes sur des équipes bien plus fortes, ça n’empêche pas que tu peux passer un sale match et que l’attaquant adverse marque, mais c’est autre chose.
Et le style d’attaquant que tu préfères affronter ? Même si on imagine que tu aimes bien quand il y a du contact !
Tu imagines bien, car je préfère évidemment affronter des grands costauds. Pour moi, c’est plus facile, je sais que je vais pouvoir aller au duel sans problème.
On a l’impression que chaque nouveau club est un palier de plus que tu franchis en termes de niveau : quelle est ta limite ?
Je suis convaincu que je peux arriver dans les tops championnats européens. C’est marrant que tu me poses ça comme question, car j’y ai pensé ce matin quand je me suis levé : « jusqu’où je peux aller ? ». Et aujourd’hui, je pense être à 30% de mon potentiel. Les clubs évoluant dans les cinq plus grands championnats européens restent mon objectif et là où je veux aller. Je suis sûr que je vais arriver à atteindre cet objectif, mais je ne sais pas encore quand. Il faudra peut-être encore quelques étapes intermédiaires avant d’y parvenir.
Particularité inhérente au Grand-Duché de par sa petite superficie et population, beaucoup des joueurs de l’équipe nationale se connaissent depuis le plus jeune âge, et un passage au CFN : dirais-tu que cela peut aider dans cette fameuse cohésion de groupe dont tu parlais ?
Je pense que c’est un atout non négligeable. À titre personnel, je connaissais déjà la moitié des joueurs quand je suis arrivé en sélection, Leandro, Danel etc. Tous ceux qui étaient passés par l’école de foot à Mondercange. Ça aide beaucoup car, quand tu arrives en sélection, c’est comme si tu retrouvais des amis et pas juste des coéquipiers, le lien se fait donc plus naturellement.
Qu’est-ce que ça fait de tomber dans un groupe avec notamment l’Allemagne pour la qualification à la Coupe du Monde 2026 ? On suppose que ce sont des rencontres que tu as hâte de disputer ?
Je trouve que c’est une bonne chose de jouer contre l’Allemagne. À titre personnel, je veux jouer contre les plus forts, et pour cela, il faut dépasser ses limites. Ça sera forcément difficile de se qualifier, mais tu ne peux pas obtenir quelque chose facilement dans le football. Même les amicaux sont durs à gagner. Personnellement, je préfère affronter de grosses équipes, car je vois que je dois me surpasser et encore même m’améliorer pour parvenir à gagner. Je crois qu’on va faire un très bon boulot pour cette campagne de qualification.
Du bon boulot, ça donne quoi en termes de résultat ?
Je ne veux pas parler d’une position au classement ou être trop dans le comptable. Mais je souhaite qu’on joue les matchs comme des gagnants. Que tous ceux qui nous suivent soient fiers de l’équipe, qu’ils voient qu’on se donne à fond et qu’on a pour objectif de gagner, c’est le plus important.
Tu as fait partie de la folle campagne de qualification à l’Euro 2024 avec l’équipe nationale, même si tu as peu joué. Penses-tu que le Luxembourg a une génération pour aller enfin chercher une qualification dans un tournoi majeur ?
Pour moi, oui. Dans les 10 prochaines années, je suis sûr et certain qu’on se qualifiera pour un gros tournoi avec l’équipe nationale.
Tu as beaucoup joué dans une défense à 4 cette saison, mais on sait que la sélection peut parfois être amenée à évoluer avec une défense à 3 : dans quelle configuration te sens-tu le plus à l’aise ?
Je peux jouer dans les deux systèmes. Je peux également occuper toutes les positions, que ça soit axe gauche, droit, ou au centre d’une défense à trois. Grâce aux nombreux championnats et coachs de différents horizons que j’ai côtoyés, j’ai fait l’expérience de plusieurs systèmes et tactiques différentes, ce qui m’a permis de beaucoup apprendre. Je dirai que j’ai fait à peu près le même nombre de matchs dans chaque système donc je suis à l’aise dans les deux dispositifs.
Tu as, parmi tous tes coachs, évidemment déjà eu des entraîneurs luxembourgeois. Comment perçois-tu la formation au Grand-Duché, notamment au niveau du CFN ? Est-ce une bonne chose de regrouper tous les talents au même endroit ?
Pour moi, c’est une bonne chose. C’est le seul truc qui peut permettre de sortir des footballeurs du Luxembourg de manière régulière. Quand tu regardes les joueurs actuellement en sélection, la plupart sont passés par le CFN. Honnêtement, quand je suis parti à 17 ans à Nuremberg, je n’étais pas en retard au niveau de ma formation, ce qui prouve sa qualité au sein du CFN. Je peux comprendre que les clubs locaux puissent ne pas être pleinement satisfaits car les joueurs ne sont pas souvent avec eux, mais il faut regarder ce qui est le meilleur pour le pays. Et ceux qui ne partiront pas à l’étranger pourront d’ailleurs finir par aider l’équipe senior.
Mental Médias SARL
15 Rue Emile Mark
L-4620 Differdange LUXEMBOURG