
Avant la venue de la Nationalmannschaft au Grand-Duché, Yannick Kakoko et Martin Forkel apportent leur expertise sur leur équipe nationale. Quels regards portent-ils sur la sélection ? Que pensent-ils de Julian Nagelsmann ? Quelles valeurs aujourd’hui pour le football allemand ? Décryptage.
Après le match aller du côté de Sinsheim, l’équipe nationale d’Allemagne fait son retour au Grand-Duché, trente-cinq ans après sa dernière venue. Pour l’occasion, deux entraîneurs allemands de BGL Ligue ont apporté leur regard d’experts quant à leur équipe nationale.
Coach de Pétange puis du RFCUL, Yannick Kakoko a importé d’Allemagne les principes de jeu qu’il a acquis tout au long de sa carrière. Formé au Bayern Munich, il a ensuite évolué dans de nombreux clubs de Sarrebruck à Hombourg en passant par le Greuther Fürth, Aalen, Wiesbaden et Mannheim, avant de terminer sa carrière près de chez lui à Brebach. Martin Forkel a quant à lui passé l’intégralité de sa carrière de joueur en Allemagne. Formé au Greuther Fürth, il a notamment fréquenté les divisions amateures dans différents clubs : Fulda, Burghausen, Koblenz, Neunkirchen, Hasborn, avec un passage du côté du FC Sarrebruck, où il a en parallèle pris les rênes des équipes jeunes. À la suite d’un passage en Asie, il pose ses valises au Grand-Duché dans un rôle de coach, d’abord à Berbourg puis au Victoria Rosport, qu’il dirige depuis 2022.
Lors de ses dernières sorties, la Mannschaft s’est montrée en deçà des attentes, notamment à l’occasion de la dernière phase finale de Nations League ou au cours du dernier Euro, tous deux organisés chez elle. Pour Yannick Kakoko : « Évidemment, l’Allemagne est une grande nation de football. C’est toujours une équipe avec énormément de talent et de joueurs qui évoluent au plus haut niveau. Pour moi, ça reste toujours une équipe dangereuse dans les tournois, capable de les gagner. »
Une vision que nuance Martin Forkel : « Aujourd’hui, nous ne sommes pas au sommet du football européen qui est dominé par des nations comme l’Angleterre, la France, l’Espagne ou le Portugal. Lors des derniers matchs, nous avons eu beaucoup de possession mais cela peut nous jouer des tours face à des blocs bas si nous n’arrivons pas à trouver la solution. Il nous manque peut-être aussi un joueur comme Miroslav Klose qui occupait un rôle de faux 9 avec une qualité de tête remarquable. Avec Woltemade, l’idée est de recréer cette solution de jeu. »
Yannick Kakoko nous explique que « actuellement, ce qui est flagrant, c’est que Julian Nagelsmann essaie de rester fidèle à ce qu’il a fait tout au long de sa carrière : dominer le jeu, étouffer l’adversaire dans son camp, avoir la possession et se créer des occasions en plaçant beaucoup de joueurs entre les lignes. Avec des joueurs créatifs comme Florian Wirtz ou Serge Gnabry, ils peuvent trouver la faille, surtout contre des équipes comme le Luxembourg, qui vont sans doute plus défendre. C’est un jeu de position axé sur la possession, pour bien attaquer mais aussi mieux défendre, avec des défenseurs centraux très hauts et compacts. » Même analyse pour Forkel : « Le jeu repose sur la possession et la qualité individuelle des joueurs. Mais, pratiquement toutes les équipes peuvent défendre en bloc bas et je trouve que nous manquons d’un plan B ou C si jamais la solution ne vient pas. »
Pour le coach de Rosport, « Julian Nagelsmann est un stratège, qui a une idée claire du football et du jeu qu’il veut mettre en place. Il se caractérise aussi par une grande confiance en lui. » Yannick Kakoko développe : « Nagelsmann a eu la confiance très jeune pour coacher une équipe de Bundesliga. Il a aussi été influencé par Ralf Rangnick, qui a formé beaucoup d’entraîneurs dans la philosophie du contre-pressing : récupérer vite le ballon et se créer des occasions, comme Klopp ou Tuchel le faisaient à leurs débuts. Nagelsmann est un grand coach avec des idées et une philosophie intéressantes, qui représente bien la manière dont on veut jouer au ballon en Allemagne. Je suis persuadé qu’il pourra obtenir de bons résultats avec la sélection. »

Avec seulement deux joueurs n’évoluant pas en Bundesliga appelés lors du dernier rassemblement, Julian Nagelsmann a placé le championnat au cœur de son projet. Kakoko le rappelle : « Historiquement, l’équipe nationale a toujours compté beaucoup de joueurs des grands clubs allemands, comme le Bayern Munich ou le Borussia Dortmund. Ce sont parmi les meilleurs clubs du monde. En Allemagne, c’est important d’avoir une base solide de joueurs formés localement, qui se connaissent bien et jouent ensemble depuis longtemps. Ça a toujours été une force de l’équipe nationale. Même si, bien sûr, il y a eu des exceptions comme Ter Stegen ou Gündogan, les joueurs évoluant à l’étranger ont toujours été moins nombreux que ceux de Bundesliga. »
Pour Martin Forkel: « Même si un championnat comme la Premier League impose un jeu intense et agressif, la Bundesliga est tout de même dotée de joueurs de qualité. Si les joueurs de l’équipe nationale évoluent en Bundesliga, je trouve que c’est une bonne chose pour l’équipe nationale qui dispose alors de joueurs de qualité. »
Les deux entraîneurs allemands s’entendent sur cet avantage autant que sur l’évolution des valeurs du football made in Germany. Pour Yannick Kakoko, la formation a su grandir avec son temps : « Les jeunes générations évoluent différemment aujourd’hui : les réseaux sociaux, la vie quotidienne ont changé. Mais la formation s’adapte. Peut-être que certaines valeurs comme la combativité ou la volonté absolue de gagner se sont un peu atténuées, mais elles font toujours partie de l’ADN du football allemand. Quand j’étais formé au Bayern, rien n’était plus important que de gagner clairement, et je pense que ça reste une base. Le défi de Nagelsmann, c’est de trouver l’équilibre entre technique, créativité, jeunesse et leadership. Les valeurs sont toujours là. »
Martin Forkel met cepandant en lumière une individualisation du jeu et un regard porté vers l’étranger : « Je pense que le football allemand a beaucoup changé ces dernières années quand on le compare à ce qu’il était il y a une quinzaine d’années. On regarde beaucoup plus vers ce qu’il se fait à l’étranger avec des entraîneurs comme Guardiola ou d’autres modèles espagnols. Aujourd’hui, on s’appuie davantage sur la possession du ballon. Historiquement, le football allemand reposait sur la force, la discipline, l’agressivité, la volonté de défendre, et ça je trouve qu’on le perd un peu. Ces valeurs nous rendaient forts et imprévisibles mais avec la place grandissante laissée aux individualités, nous les avons un peu perdues. »
Véritable terre de football, l’Allemagne abrite un public fervent et passionné face auquel l’échec n’est pas permis comme l’explique Kakoko « Oui, en Allemagne, il y a toujours une très grande pression. Gagner 1-0 contre le Luxembourg, par exemple, ne suffit pas. Aller en quart de finale de Coupe du Monde, ce n’est pas assez. L’Allemagne veut toujours aller au bout et viser le titre. » Une pression confirmée par Forkel : « Que l’équipe nationale joue contre une plus petite équipe ou contre un cador, peu importe : il faut gagner. Si tu ne performes pas, surtout contre des petites équipes, tu t’exposes à des critiques. La pression est forte. »
C’est à ce titre que la Mannschaft sera attendue au tournant cet été pour une Coupe du Monde à laquelle elle devrait selon toute vraisemblance prendre part. Martin Forkel précise que « Julian Nagelsmann a dit qu’il veut aller en Amérique pour gagner le titre. Mais je pense qu’il faut être réaliste. Aujourd’hui, il y a des équipes meilleures que la nôtre. L’objectif devrait être de gagner mais il y a encore beaucoup de travail à faire pour y parvenir. » Une vision prolongée par Yannick Kakoko : « Même si la concurrence est forte, avec la France, l’Espagne ou d’autres grandes équipes, les attentes en Allemagne sont toujours d’être dans le top 3 ou 4. »
Avant de penser aux Amériques, l’Allemagne devra d’abord décrocher sa qualification. Un match à enjeu qui se profile pour les hommes de Nagelsmann. Ambassadeurs du football allemand au Grand-Duché, Yannick Kakoko et Martin Forkel auront les yeux braqués sur le Stade de Luxembourg et le duel tant attendu.
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