C’est dans un petit bureau, qui en apparence ne prête pas énormément de mine, que nous faisons notre découverte de la LIROMS, ASBL fondée il y a quelques années par le Professeur Urhausen. Accueillis par le Professeur Jan Cabri et Roland Krecké, nous découvrons un monde que les amateurs de sports ne voient que trop […]
C’est dans un petit bureau, qui en apparence ne prête pas énormément de mine, que nous faisons notre découverte de la LIROMS, ASBL fondée il y a quelques années par le Professeur Urhausen. Accueillis par le Professeur Jan Cabri et Roland Krecké, nous découvrons un monde que les amateurs de sports ne voient que trop rarement, mais pourtant extrêmement précieux : celui de la bio-mécanique. Le temps de 120 minutes, les deux docteurs, spécialisés dans le domaine nous expliquent leur métier, l’importance de leur travail dans le domaine sportif, et les challenges à venir. Entretien clinique.
Situés dans le Centre Hospitalier à Eich, les bureaux de la LIROMS nous ouvrent leurs portes. Au programme : mieux comprendre en quoi consiste leur travail. Car ce métier n’est pas de ceux connus par le grand public. Loin des projecteurs préférant généralement mettre en lumière les sportifs, ces deux anciens kinés ont pourtant un rôle capital dans le maintien au plus haut niveau des athlètes de nos pays. En coopération avec le COSL, le CMOL (Comité Médical Olympique Luxembourgeois), mais encore la LIPS, et subventionné par le Ministère de l’Education Supérieure et de la recherche, mais aussi le Ministère des Sports, la LIROMS a pour but d’améliorer la compréhension du mouvement du sportif, tant professionnel que loisir, et optimiser la performance de l’athlète.
De l’ambition et de l’expérience
« Le Luxembourg demeure un petit pays, limité parfois par la matière grise présente ici. On n’a pas d’école ou d’université de sport au Luxembourg. C’est dommage et un frein, mais ça va venir, on l’espère. On ne peut pas se plaindre. Le problème qu’on a au Luxembourg est plus sur le plan mental : on pense être trop petit pour pouvoir jouer avec les grands, ce qui n’est pas du tout vrai, à l’image des CV des Professeur Urhausen et Seil, qui ont une liste de publications d’ici jusqu’à Tombouctou ». Ces propos sont ceux du Professeur Jan Cabri, qui, en à peine quelques secondes, sait nous faire comprendre son ambition dévorante, et son désir de faire les choses en grand.
Il n’est pas peu dire que Jan Cabri a vu du pays. Après avoir fait ses études de kinésithérapie à l’Université de Bruxelles, suivi par un doctorat dans cette spécialisation, il a commencé sa carrière dans la capitale belge pendant une dizaine d’années. Avant de rejoindre le Portugal pour un « gros projet » de plus de quinze ans, et finalement débarquer en Norvège, et la Norwegian School of Sports Science (« Le benchmark sur lequel on s’appuie aujourd’hui » explique t-il), plus grosse université sportive du pays où il officiait en tant que Chef de service de bio-mécanique, Cabri est contacté il y a deux ans par le Docteur Urhausen, à la renommée internationale. L’objectif ? Mettre en place au Luxembourg une véritable structure et un centre du plus haut niveau, du même acabit que de nombreuses infrastructures reconnues à travers le Monde. Une opportunité que le dorénavant Directeur Scientifique attrape au vol sans hésiter, excité par la perspective de pouvoir contribuer à la construction totale d’un centre au summum de la modernité : « C’était une superbe opportunité pour moi d’avoir carte blanche pour développer un labo aux pointes de la technologie. Je n’ai pas hésité deux secondes avant de venir. »
Alors, Cabri a rejoint la LIROMS. Et force est de constater qu’en peu de temps, les choses ont vite évolué. En quelques années, le centre de recherche, constitué en une conglomération de cinq pays francophones (la Suisse, la Belgique, la France, le Canada et le Luxembourg) est officiellement reconnu par le CIO comme le onzième centre dans le domaine de la recherche en prévention de blessure et protection de la santé de l’athlète. « On joue dorénavant dans la cour des grands » clame le Docteur Cabri, Directeur Scientifique de ce centre de bio-mécanique. Mais qu’est-ce justement que la bio mécanique ?
Des tâches variées et intenses
À les écouter, de nombreuses choses, qui peuvent varier énormément en fonction du patient présent devant eux. « Nous cherchons tant l’optimisation de la performance, que l’analyse qui peut expliquer la blessure. En fonction du sport, de l’athlète, les demandes peuvent être différentes. Cela peut provenir d’un entraîneur, d’un kiné : nous sommes d’une certaine manière dans le cas par cas. C’est ce qui rend ce travail très difficile, mais aussi très excitant. Plusieurs laboratoires nous permettent ainsi de mesurer les différentes composantes du mouvement, que cela soit la force, la rapidité, la vélocité, la flexibilité… La composition totale d’un mouvement est extrêmement vaste, et on essaye donc d’analyser tout pour comprendre le rendu final » confirme le Professeur Cabri.
Aux demandes diverses s’ajoute aussi une liste de patients extrêmement variée. « La base de nos athlètes provient des cadres du comité olympique : cadre élite et cadre promotion. Tous les athlètes de la Team Letzeburg sont donc présents. Mais il faut aussi ajouter à cela tous les sports collectifs de l’équipe nationale. Voilà ce qui constitue donc l’ensemble des sportifs qui vont être analysés » nous explique Roland Krecké, collègue de Cabri et Luxembourgeois de naissance. Si, évidemment, l’athlète professionnel fait partie des habitués, de grand nombre d’autres profils requièrent l’aide de la LIROMS : « Nous avons les sportifs du comité olympique, et enfin tous ceux qui ont eu une blessure assez grave, et qui veulent retourner dans le sport. Nos examens aident le médecin et les kinés à juger de la récupération de leurs athlètes. À côté des sportifs d’élite et de loisir, on a aussi un travail clinique à faire. Certains patients sont envoyés par des orthopédistes pour faire des analyses de la marche, par exemple. Ici, nous rentrons bien plus dans un travail essentiellement clinique, en collaboration avec le CHL, et bien moins sportif. »
L’oeuf ou la poule
Si l’ambition est grande, le discours prononcé devant nous n’est pas de ceux grandiloquent. Ainsi, les deux collègues n’ont aucun mal à clamer que la part d’inconnu dans leur métier est encore profondément réel. Ainsi, Cabri n’hésite pas à admettre que « sur l’épidémiologie du tennis de table, on ne sait rien. Tout ce qu’on sait sur l’incidence des blessures, la physiologie et la bio-mécanique du tennis de table, c’est quasiment anecdotique. Il faut mettre ça en lumière ». Problématique, dans un pays dans laquelle la discipline réussit régulièrement à sortir des joueurs capables de tutoyer le plus. C’est donc pour cela que la LIROMS a développé deux projet en collaboration respectivement avec l’INSEP de Paris et l’Université de Bruxelles dans ce domaine. Un investissement sur la recherche qui symbolise le désir d’éclairer les zones obscures, tout en continuant de parfaire certains autres domaines mieux compris.
Les discussions bien entamées, et bien conscients des difficultés chez nous à saisir toutes les subtilités de ce métier si complexe, les deux Docteurs nous font alors l’honneur de nous montrer des analyses faites récemment sur un patient anonyme. Ainsi, le rétroprojecteur s’allume et nous pouvons alors voir, en détail, comment tout ceci fonctionne, quand bien même nous ne crachons pas sur des commentaires en direct pour bien tout comprendre : « Il y a un tapis roulant, qui a deux plaques de force en dessous. Cela nous permet de mesurer l’impact à chaque fois que le pied touche les plaques. Il y a neuf caméras en tout autour de l’athlète pour mettre en évidence tout le mouvement. On peut donc mettre en évidence le trajet complet qui est effectué lors de la foulée, avec à peu près une quarantaine de marqueurs placés sur le sujet. Enfin, la vidéo est normalement de 24 images par seconde. Ici, c’est 300. Cela nous permet de vraiment décortiquer le mouvement total, et de reconstituer toute la foulée en trois dimensions » nous explique le Directeur Scientifique. Des marqueurs à tout va, des vitesses bien ralenties pour pouvoir étudier tout un mouvement parfaitement décortiqué, des graphiques fort détaillés et des symboles et signes dans tous les sens et colorés : la machine semble extrêmement bien huilée : « On a développé tout un savoir faire ici pour mesurer toute la cinématique et la dynamique chez des patients qui sont traités ici par les docteurs présents ici. Le seul souci, c’est qu’on ne peut pas le faire chez des gens qui sont âgés, car le tapis roulant se trouve à presque un mètre de hauteur, et cela peut faire un peu peur » continue Cabri. Le diagnostic parait ainsi fort limpide, et même pour un oeil non averti, il n’est pas compliqué de saisir que dans le cadre du patient présenté devant cet écran, le souci a lieu au niveau de l’impact de la jambe gauche, bien plus puissant que la droite. Si la découverte de l’anomalie n’est pas compliqué, reste alors à l’expliquer. D’ou vient-elle ? Quels risques peut-elle faire courir sur le coureur ? Un vaste nombre d’interrogations qui sont bien plus complexes qu’il n’y parait : « La question est parfois très difficile avec les asymétries ou autres anomalies.. Au final, c’est l’histoire de l’oeuf et la poule : l’anomalie était-elle là au départ et a provoqué la blessure, ou est-ce l’inverse ? On n’a pas toujours une réponse à ça. Il y a d’ailleurs deux écoles assez différentes sur le sujet. C’est pour cela qu’il y a la recherche et tant de publications. Mais il faut aussi faire attention : si on lit une publication qui va dans notre sens, ça ne veut rien dire. Il faut en analyser énormément avant de se faire son avis. C’est le propre de la recherche. Et c’est pour cela qu’une grande partie de notre travail consiste à proposer des solutions en se basant sur l’évidence scientifique. » nous explique Krecké.
Se pose aussi la question de la décision à prendre, une fois que le problème est cerné. Car des années de répétitions d’un geste ne sont pas facilement modifiables et en cas de changements brusques, la santé de l’athlète peut être en péril. « Dans le temps, on disait qu’atterrir sur la pointe des pieds était moins dangereux car tu amortis le choc. Mais, le problème c’est que si l’on demande à un athlète de changer de style, il va se surmener et mettre en danger des structures comme le tendon d’Achille qui n’est pas adapté et est plus vulnérable. Il faut faire très attention de ne pas brusquer le sportif. Si on veut réellement changer le style d’un athlète, il faut alors le faire de manière extrêmement progressive. La performance est une autre chose, la médecine sportive en est une autre. Il faut toujours prioriser la santé de l’athlète devant l’optimisation des résultats sportifs » nous confirment nos deux interlocuteurs, parfaitement en accord sur la protection du patient avant tout.
Quel est donc le plafond pour des études de ce genre ? Après tout, un tel niveau de technologie et de connaissance sur le corps humain pourrait faire croire à la possibilité de trouver le geste parfait. Une hypothèse entendue mais vite balayée sous des rires affectifs de nos deux spécialistes. « Le mouvement parfait n’existe pas. C’est un travail tout à fait individualisé. On travaille avec des références qui permettent de faire une comparaison, mais à la fin, chaque être humain est différent. Et c’est justement ça qui est excitant : car on essaye de trouver LE problème de chaque personne. Lorsqu’Usain Bolt a fait ce type d’analyses, on s’est rendu compte qu’il était asymétrique à certains niveaux. On n’a évidemment pas voulu le corriger. » explique Krecké. Et au Docteur Jan Cabri de trouver la parfaite formule pour expliquer l’incapacité de la référence ultime : « Un athlète de haut niveau est un athlète de haut niveau car il n’est pas la norme. C’est précisément ce qui le rend unique. Donc on ne peut pas établir de référence globale. »
Sportfabrik, le futur ?
La création probable de la Sportfabrik, soutenue par la commune de Differdange et le Ministère des Sports pourrait aussi offrir une nouvelle visibilité, et des capacités encore plus développées pour mener à bien le travail de la LIROMS. C’est dans un bâtiment flambant neuf, situé à côté des locaux des Red Boys de Differdange que le développement pourrait continuer : running lab des plus complets, réaction room, tapis roulants, grand nombre de caméras à haute vélocité et superficie assez élevée pour faire des simulations pour tous les sports, y compris collectif : le futur pourrait donc passer par ces nouveaux locaux. Si la date officielle de l’ouverture de la Sportfabrik n’est pas encore connu, il est certain que la LIROMS attend avec impatience sa probable ouverture en 2022. Une ouverture qui pourrait permettre de se focaliser à Differdange exclusivement sur le sportif : « Il y aura toujours un travail clinique ici à Eich, et le côté sportif ira à Differdange. Les deux vont donc continuer de vivre, mais en deux entités plus indépendants. La LIROMS sera toujours impliquée d’un côté comme de l’autre. » confirme le Directeur Scientifique.
Une telle infrastructure, au-delà de la réussite intrinsèque apportée au pays, permet évidemment de voir grand. Et à la question posée sur la possible utilisation de ses moyens à des fins internationales, et une ouverture à d’autre pays, les deux hommes ne peuvent apporter de réponse, négative ou positive : « En Luxembourgeois, on dit toujours que l’on commence par les petits pains avant de faire les grandes baguettes. On n’a pas encore démarré. Au départ, notre objectif sera évidemment de s’occuper des athlètes luxembourgeois, ce qui sera fort conséquent. Mais c’est vrai que le niveau de nos infrastructures nous permet potentiellement d’aller au delà. Nous ne fermons pas la porte » confirme Krecké. Un avis partagé par le Docteur Cabri, qui ne peut néanmoins cacher son intérêt, en tant que scientifique à viser encore plus haut : Je trouve que ça serait dommage de ne pas ouvrir ce type de labo à un plus grand nombre. Il est certain que d’un point de vue scientifique, cela serait très intéressant d’avoir d’autres profils.
Mais je ferais mon travail avec la même passion dans tous les cas ». Si les deux spécialistes sont reconnus dans leur domaine, leur travail ne se veut pas politique. En ce sens, ils n’estiment pas à avoir à se prononcer sur des choix qui, de leur propre aveu, ne dépendent pas d’eux : « Je suis Luxembourgeois, pas lui, mais depuis qu’il est ici, il a compris que la politique jouait un grand rôle ici (rires) ! » explique ainsi Roland Krecké.
Qu’à cela ne tienne, et en attendant cette nouvelle avancée, l’équipe en place au CHL d’Eich ne chôme pas et a constamment du travail sous la planche : « Chaque année il faut faire toute une batterie de tests. On veut améliorer la performance, mais aussi savoir où vous en êtes en ce moment. Ces données vont nos permettre de comprendre quand l’athlète se blesse pourquoi cela lui arrive, et dans quel état son corps était avant la blessure. Il est vital de se référencer aux données que nous avons déjà de ce sportif. Il y a donc tout un travail à faire. »
Ces tests, réguliers et rigoureux, ne sont pas les seuls auxquels les athlètes doivent se soumettre pour optimiser leur réussite dans leurs disciplines respectives. La Coque, elle aussi, propose un panel de tests élevés. Mais ceux-ci diffèrent des exercices effectués à la LIROMS. Basés sur un suivi annuel pour surveiller la progression et contrôler la programmation des entraînements, ces exercices – qui sont développés en étroite collaboration avec la LIROMS – sont bien complémentaires, mais différents. Ainsi, avec toutes ces batteries de simulation, analyses, on en revient à avoir quelques difficultés à saisir toutes les nuances. Ce qui, selon le Docteur Roland Krecké, n’est pas si surprenant : « Nous aussi on se pose parfois la question (rires) ! »
Ainsi, la LIROMS continue donc son chemin. Ses patients, jusqu’à présent, oscillant entre le sportif et le clinique continuent de profiter des conseils avisés des professeurs et ses derniers recherchent sans cesse l’amélioration de leur profession. Passé cet entretien passionnant, nous repartons d’où nous étions venus. Nous essayons de nous focaliser sur notre foulée, et savoir si les deux jambes touchent le sol avec le même impact. Incapables de trouver la réponse à cette question, nous partons rassurés en nous disant qu’après tout, nous avons maintenant l’adresse de la LIROMS.
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