
Si les résultats de la sélection ont pu décevoir le public ces derniers mois, il fût un temps pas si lointain où le Grand-Duché était encore loin de pouvoir rivaliser avec des nations comme la Slovaquie ou l’Irlande du Nord, pour ne citer que celles affrontées le plus récemment. Pourtant, le 31 octobre 1990, le Luxembourg va passer tout proche de créer le plus grand exploit de son histoire, perdant d’un petit but face à l’Allemagne de Matthäus. Retour sur le presque exploit d’une vie, où Paul Philipp, entraîneur de l’époque, nous livre ses anecdotes sur une rencontre qui a vu les champions du monde vaciller au Josy Barthel.

Il convient tout d’abord de planter le décor, et ainsi replacer cette rencontre dans le contexte pour bien se rendre compte de la portée de ce Luxembourg-Allemagne de la fin du XXe siècle : nous sommes le 31 octobre 1990, et seulement trois bons mois après la finale de la Coupe du monde, les qualifications pour l’Euro 1992 démarrent. Le Luxembourg ne pouvait pas plus mal tomber, puisqu’il va devoir faire face d’entrée au vainqueur du mondial italien de 1990 : la redoutable Allemagne, tout juste réunifiée, et qui selon les dires de Franz Beckenbauer « risquait de rester invaincue assez longtemps ». À l’époque, si la déclaration fait grincer des dents et peut paraître prétentieuse, elle est surtout parfaitement crédible et la plupart des observateurs se demandent bien qui va pouvoir contester la suprématie germanique.

Ce déplacement au Luxembourg ressemble donc à du tout cuit pour la nationalmannschaft, face à une équipe qui n’a plus remporté le moindre match depuis… 10 ans. Sur le papier, il n’y a pas match, et tout le monde s’attend à ce que la rencontre soit une véritable correction, y compris Paul Philipp : « Pour être honnête, tout le monde pensait que ça allait être un festival allemand. Si on nous avait dit avant le match qu’on perdrait 3-0, on aurait signé. »
Et globalement, même si les Rout Léiwen entament la rencontre avec bravoure, se retrouvant à quelques reprises en position intéressante dans le camp adverse, le scénario attendu se profile sérieusement lorsque les hommes du sélectionneur Berti Vogts marquent par deux fois en première période par l’intermédiaire de Klinsmann et Bein. La rencontre paraît même définitivement bouclée lorsque Völler inscrit le troisième, d’une superbe frappe du gauche qui termine sa course dans le petit filet de Van Rijswijck. « À ce moment-là, on se dit que la fin de match va être longue », souffle Paul Philipp.
Et pourtant, et c’est bien là la beauté du football, c’est le moment que vont choisir Carlo Weis et ses partenaires pour aller puiser dans leurs réserves pour tenter ce qui semble encore complètement utopique à ce moment-là : un retour face aux champions du monde, malgré un déficit de trois buts.
Le président de la FLF se rappelle d’ailleurs parfaitement du match, et des joueurs qui pouvaient mettre en difficulté leur adversaire du jour : « On avait 2-3 joueurs capables de jouer les transitions, Jean-Paul Girres et Joël Groff, sans oublier Roby Langers évidemment. »
Banco puisque sur le but du 1-3, Langers sert parfaitement Girres, qui d’un lob parfaitement ajusté vient tromper Illgner. On joue la 57e minute de jeu, et l’honneur est sauf, se dit-on alors. Les Rout Léiwen ont marqué un but aux champions du monde.
Mais la rencontre va rapidement basculer dans la folie lorsque, 8 minutes plus tard, Roby Langers va envoyer une belle reprise pied droit au premier poteau d’un Illgner surpris par l’initiative de l’attaquant de l’équipe nationale. C’est la 65e minute de jeu et le petit Luxembourg revient à un but de l’immense Allemagne. La peur a changé de camp, les supporters aussi : « À 3-2, les Allemands ont commencé à avoir peur. Sur une action, Marc Birsens fait un grand pont à Matthaus, enchaîne un une-deux avec Langers qui lui remet et sa frappe est sortie de la lucarne par Illgner. À ce moment-là, même les supporters allemands étaient contre leur équipe. Je n’avais jamais vu le public luxembourgeois comme ça, avec la plupart des gens debout sur les sièges à encourager les joueurs. »

Paul Philipp, qui se rappelle de cette rencontre comme si c’était hier, n’a d’ailleurs rien oublié de ses folles chevauchées vers les joueurs après chacun des deux buts, dont la première sur laquelle il rentre allègrement sur la pelouse. Celle-ci lui vaudra une réprimande de l’arbitre ainsi qu’une suspension de deux matchs par la suite.
L’entraîneur de l’époque n’a que faire de la suspension qui l’attend à ce moment de la rencontre : il sent, tout comme ses joueurs, que l’exploit est à portée de pieds. Les Rout Léiwen se découvrent pour tenter d’aller coller un troisième but à une Allemagne qui ne répond plus. La rencontre est toute proche de définitivement basculer lorsque Théo Malget est clairement poussé dans la surface de réparation. Mr Nielsen, arbitre de la rencontre, ne bronche pas alors que la faute est flagrante.
Pas de penalty sifflé. Un fait de jeu que n’a pas oublié Paul Philipp : « Je vais vous dire, s’il y a la VAR, on fait match nul ! À 3-2, il y a une faute évidente dans la surface allemande sur Théo Malget qui n’est pas signalée. S’il y avait eu 5-0 pour les Allemands à ce moment du match, il aurait probablement sifflé le penalty. » Personne n’est dupe, il est toujours plus difficile de siffler un penalty contre les champions du monde allemands face à une petite nation du football comme le Luxembourg que l’inverse.
Le tournant de la rencontre se situe là. Qui sait ce qui serait arrivé par la suite ? Peut-être que l’Allemagne, touchée dans son orgueil, aurait trouvé les ressources nécessaires pour aller arracher la victoire. Ou bien que le Luxembourg se serait arcbouté derrière et aurait tenu le nul de manière héroïque. Voire mieux. Nul ne le saura jamais.
Malgré un dernier centre de Langers pour Guy Hellers arrivé pleine balle dans la surface, le tacle salvateur de Kohler permettra aux Allemands de conserver un succès qui ne sera pas resté longtemps dans les mémoires du côté des champions du monde. Tout le contraire pour le football grand-ducal qui se rappelle encore de ce match 35 ans plus tard, avec émotion, fierté, et une pointe de regret.
Après match, le légendaire gardien Sepp Maier, membre du staff de la nationalmannschaft, dressera des louanges sur l’équipe luxembourgeoise pendant plusieurs minutes, tandis que l’entraîneur Berti Vogts, déjà un peu nerveux durant le match à l’encontre de Paul Philipp, ne manquera pas de dégoupiller un peu plus en conférence de presse après quelques questions de journalistes allemands pas vraiment à son goût.
L’histoire retiendra que l’équipe qui a remporté la victoire ce jour-là n’est pas celle qui est sortie grandie de la rencontre. Ce match reste toujours celui où le Luxembourg a inscrit un but à l’Allemagne pour la dernière fois. Alors, qui pour succéder à Roby Langers ? Paul Philipp a sa petite idée : « Je verrai bien Danel Sinani, avec sa patte gauche, il pourrait faire quelque chose. »
De notre côté et comme le dit le proverbe : peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, même un CSC serait accueilli avec grand plaisir pour mettre fin à une série de quatre matchs sans but face à l’immense voisin germanique.

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