
Si le nom de Gérard Lopez est bien connu dans le monde du sport depuis 2010, chez la très grande majorité des observateurs, il est surtout synonyme d’échec. Partout où il a investi, la chute fut brutale. Tout au long de sa carrière de dirigeant, Lopez a laissé derrière lui des structures exsangues voire complètement éteintes. Décryptage.
Diplômé de l’université de Miami, Gérard Lopez s’est construit sur l’investissement. Décrit comme un génie ayant toujours un coup d’avance par ses pairs, il fait fortune en investissant dès 2003 dans Skype, qui sera ensuite vendu pour 4,1 milliards de dollars à Microsoft. Par le biais de ses sociétés d’investissement Genii Capital et Mangrove Capital Partners, l’Hispano-Luxembourgeois a investi dans le milieu qu’il affectionne tant : le sport. Principalement dans le football, mais également en Formule 1, Gérard Lopez s’est voulu ambitieux, portant des projets qui cassent les codes. À l’arrivée, son bilan sportif ne présente que peu de succès, bien au contraire des affaires extra-sportives et catastrophes économiques pour les structures qu’il a dirigées.
Natif d’Esch-sur-Alzette et amoureux du ballon rond, Gérard Lopez a commencé sa carrière de dirigeant au Fola, club dans lequel il a évolué adolescent. En 2007, il reprend un Fola malade, absent de la première division depuis 1994. Grâce à un budget doublé, le club embauche dix-huit nouveaux salariés et commence à attirer de nombreux joueurs étrangers, à une époque où le championnat peine à séduire au-delà des frontières. En une décennie de présidence, le club doyen a retrouvé le sommet du football grand-ducal avec une montée en première division en 2008 et deux titres de champions en 2013 et 2015.
Néanmoins, le passage de Gérard Lopez au Fola est terni par une affaire de fraude, l’impliquant lui et son associé Eric Lux. En 2014, près de 2 millions d’euros sont transférés sur les comptes du Fola depuis ceux de l’écurie de formule 1 Lotus, également propriété des deux associés avec Genii Capital. Lux et Lopez sont inculpés en 2022. L’avocat de la défense justifiera ce transfert d’argent comme une donation de Lotus en vue de financer le développement des jeunes du Fola. À cause de l’accumulation des dettes, Genii Capital vend en 2015 Lotus à Renault, ancien propriétaire de l’écurie. Lopez se retire du Fola deux ans plus tard pour laisser la présidence à l’un de ses collaborateurs Mauro Mariani.
Après cette première expérience dans le football, Gérard Lopez voit les choses en grand et jette son dévolu sur le championnat de France. D’abord pressenti pour reprendre l’Olympique de Marseille, il pose finalement ses valises dans le nord, à Lille. Lopez devient officiellement propriétaire du LOSC le 26 janvier 2017.
Pour la saison 2017/2018, le club voit les choses en grand et lance le projet « LOSC Unlimited ». L’objectif est de faire du LOSC l’une des puissances du football français capable de briller sur la scène nationale et continentale grâce à un modèle de trading de jeunes talents. Pour y parvenir, Lopez s’entoure de personnalités fortes du monde du football. Marcelo Bielsa s’installe sur le banc lillois tandis que Luis Campos, ancien directeur technique de l’AS Monaco, et Marc Ingla, ancien vice-président chargé des médias et du marketing du FC Barcelone, rejoignent le club nordiste aux postes de directeur sportif et directeur technique. Dès le premier mercato, des cadres du vestiaire lillois comme Vincent Enyeama, Eric Bauthéac ou Marko Basa sont écartés du groupe.
Dans le même temps, le club attire de nombreux jeunes joueurs pour un montant total de 76,5 millions d’euros dépensés à l’été 2017. La première saison de l’ère Lopez est une catastrophe à tous les étages. Sur le terrain, la formule ne prend pas. Les mauvaises prestations de l’équipe cristallisent des tensions en tribune jusqu’à l’explosion avec l’envahissement de terrain. Avec l’arrivée de Christophe Galtier sur le banc à l’hiver, le club se maintient en Ligue 1. Mais la DNCG prononce la relégation administrative, obligeant Lopez à réunir 150 millions d’euros pour maintenir le club dans l’élite.
C’est là que le projet de Lopez montre ses limites. L’homme d’affaires a racheté le club à la suite d’un LBO, rachat avec effet de levier, sa marque de fabrique. L’argent investi dans le club ne provient pas de fonds propres mais d’emprunts, créant une dépendance économique vis-à-vis des prêteurs ainsi qu’une obligation de rembourser ces emprunts. Par ailleurs, à travers les fuites de documents des Football Leaks, il apparaît que le rachat du LOSC s’est fait par le biais d’une société installée aux Îles Vierges Britanniques, inscrits sur la liste noire des paradis fiscaux.
Sur le plan sportif, les années suivantes sont excellentes avec une deuxième place en 2019, synonyme de retour du club en Ligue des Champions. Mais dans le même temps, les dettes continuent de s’accumuler, dégradant nettement la santé financière du club. Un exemple frappant de la mauvaise gestion de Lopez : le transfert de Victor Osimhen. Le Nigérian est vendu en 2020 à Naples pour environ 80 millions d’euros. Du fait des nombreux intermédiaires à rembourser, le club nordiste n’a touché que 7 millions d’euros.
Encore aujourd’hui, Gérard Lopez est soupçonné de détournement de fonds sur cette opération. En parallèle, les pratiques du club sont pointées du doigt par des révélations issues de la deuxième saison des Football Leaks sur le versement des indemnités de transfert. Gérard Lopez quitte le club fin 2020 laissant une dette de 160 millions d’euros. Le repreneur Olivier Létang qualifiera alors la situation de « naufrage économique ». Ironie de l’histoire, le LOSC finira la saison avec le titre de champion de France.

En mai 2020, Gérard Lopez rachète le club du Royal Excel Mouscron, alors en première division belge. L’objectif est de faire du club un « satellite » du LOSC afin d’y développer les jeunes Lillois. Une convention est signée entre les deux entités : chaque année, le LOSC verse 4 millions d’euros au club belge en échange de la prise en charge de ses jeunes joueurs. Lors de la saison 2020-2021, douze joueurs lillois rejoignent Mouscron. Mais quelques mois à peine après le rachat du club, le départ de Gérard Lopez met un sérieux coup au projet de multipropriété.
À l’issue de la saison, les nouveaux dirigeants lillois mettent fin unilatéralement à la convention, cessant alors le financement du club belge, relégué en deuxième division. Lors de la saison suivante, le club s’enfonce dans la crise. Les dettes s’accumulent, Mouscron est interdit de recrutement, perd son statut professionnel, les salaires ne sont plus versés et les joueurs se mettent en grève. Deux ans après son rachat, en mai 2022, le club fait faillite et disparaît.
Toujours dans une optique de multipropriété, Gérard Lopez devenait actionnaire majoritaire de Boavista dès octobre 2020. Plusieurs joueurs lillois rejoignaient alors le club lusitanien comme Angel Gomes. Mais là encore, le départ du LOSC fragilise le club portugais qui voit sa connexion rompue. Si Boavista reste compétitif en enchaînant les maintiens en première division, les dettes s’accumulent à hauteur de 6,8 millions d’euros et le club est interdit de recrutement pour cinq fenêtres de mercato.
En novembre 2024, Boavista est placé sous un processus de revitalisation en vue d’éviter la faillite. En avril, le stade du club se retrouve privé d’électricité dû à des impayés pour son fournisseur. À la suite de sa relégation sportive, le club ne parvient pas à réunir les fonds nécessaires pour évoluer en deuxième division et coule au cinquième échelon. Gérard Lopez a eu raison d’un deux!ème club centenaire.
À l’issue de la saison 2020-2021, les Girondins de Bordeaux sont au bord du gouffre. Leurs actionnaires américains de King Street et GACP annoncent se retirer après trois années de gestion catastrophique. Gérard Lopez rachète le club pour 1 euro symbolique avec l’ambition de le replacer parmi les grands du football français. À l’été 2021, la DNCG prononce la relégation administrative du club en Ligue 2 à cause d’un défaut de paiement de 28 millions d’euros par King Street. En appel et après avoir finalisé son projet de rachat, Gérard Lopez parvient à maintenir le club dans l’élite.
La saison suivante, il place Vladimir Petkovic sur le banc des Girondins. Le technicien sort d’un Euro réussi avec la Suisse, qu’il a mené jusqu’en ¼ de finale. Mais les résultats ne suivent pas : Petkovic est limogé en janvier et le club termine à la dernière place du championnat avec 91 buts encaissés. À la relégation s’ajoute un encadrement de la masse salariale par la DNCG pour surendettement. Malgré tout, le club investit 9 millions d’euros sur le marché des transferts faisant de lui le club le plus dépensier de Ligue 2. L’objectif est clair : la montée immédiate. Sur le terrain, la promesse est respectée. Comble de malchance, lors de l’ultime journée, un joueur de Rodez est agressé par un supporter bordelais. Défaite de Bordeaux sur tapis vert qui annihile les rêves de Ligue 1.
Pour satisfaire les exigences de la DNCG, Lopez injecte alors 38 millions d’euros de sa poche, en plus de la double vente des espoirs Dilane Bakwa et Junior Mwanga pour 20 millions d’euros à Strasbourg. Bien qu’encadrés par la DNCG, les salaires restent trop importants au vu des faibles recettes de la deuxième division. Lors de la saison 2023-2024, les finances du club sont au plus mal et l’été s’annonce décisif pour l’avenir du club.
Le fonds d’investissement Fenway Sports Group, détenteur de Liverpool, annonce alors vouloir racheter le club. Mais après un litige avec la mairie concernant le loyer du stade Matmut Atlantique, les Américains se retirent et Bordeaux est relégué administrativement en National 1. Le club perd le statut professionnel qu’il détenait depuis 87 ans, le centre de formation ferme et de nombreux salariés se retrouvent licenciés.
Les Girondins déposent finalement le bilan et sont rétrogradés en quatrième division. Une vague d’émotion s’empare du football français alors que les supporters manifestent pour le départ de Gérard Lopez. En N2, le club tente de se reconstruire mais manque la montée pour sa première saison. En mai 2025, un consortium mené par Oliver Kahn se montre intéressé par un rachat mais fait volte-face après avoir étudié la santé financière du club. Aujourd’hui, Gérard Lopez est toujours dirigeant des Girondins de Bordeaux malgré la grogne populaire.
Durant bientôt deux décennies passées dans le monde du football, Gérard Lopez a porté fièrement des projets ambitieux voulant révolutionner le sport. Mais, avec des méthodes de gestions controversées, il a été au cœur de la chute de clubs qui peinent encore à se relever, voire n’existent plus du tout…
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