Absence de satisfaction, absence d’action

Le constat initial passé, vient le temps d’en savoir plus sur le ressenti des clubs et acteurs du football luxembourgeois. Un sujet sur lequel tous avaient beaucoup à dire, entre interrogations, désir de changement et, parfois, franche colère. Retour sur un sujet qui, comme toute situation impliquant une redistribution économique, fait jaser.

« On est encore loin. » C’est ainsi que débute notre entretien avec Michael Schenk, président du FC Wiltz. C’est peut-être le propos idéal pour résumer la pensée dominante au sein de la BGL Ligue, avec des clubs qui, s’ils reconnaissent une certaine amélioration sur le plan de la vidéo, sont parfaitement conscients du travail qu’il reste à effectuer pour améliorer l’attractivité et la visibilité du championnat luxembourgeois. Lors de nos discussions avec certains acteurs du football au Grand-Duché, nous avons vite réalisé que le sujet était plus que d’actualité. Loquaces, sincères, engagés : la thématique fait réagir. Et très vite, nous en sommes arrivés à un constat assez limpide : la satisfaction n’est pas de mise. En effet, tous les intervenants interrogés débutaient en expliquant la perte de visibilité au sein de la presse écrite, avec avant tout la quasi- disparition du Tageblatt et du Wort, autrefois médias à la présence presque constante. Une diminution de l’exposition médiatique qui semble avoir porté un sacré coup aux clubs, inquiets. Alors que RTL Live Arena a indéniablement proposé un médium qui se faisait désirer au Luxembourg, beaucoup ne peuvent considérer cette collaboration comme une réussite en tous points. 

Un accord injuste selon grand nombre 

Principale cause de leur courroux : l’accord passé avec RTL sur la diffusion de la BGL Ligue sur la Live Arena. Et en particulier l’absence de revenus revenant aux équipes des championnats, qui s’estiment flouées. « Je ne trouve pas cet accord correct. La première année, il y avait des frais, je le comprends, mais maintenant, ils doivent livrer », balance ainsi sans retenue Michael Schenk. Un avis partagé par le plus grand nombre, au même titre que Pascal Welter, directeur sportif du Fola, qui, s’il se satisfait de ce médium, ne comprend pas qu’il n’y ait pas le moindre retour financier : « Du point de vue télévision, on commence à voir les matchs, ce qui est une très bonne chose. Ce que je ne trouve pas correct, c’est que les clubs doivent payer pour cela et qu’aucun revenu ne soit généré. » Luc Hilger, président du FC UNA Strassen, confirme lui aussi sa déception : « La rémunération n’est pas bonne. Cet accord n’est pas correct, et il doit être modifié. Si on exporte nos images, il faut quand même que nous soyons rémunérés. Le Luxembourg est le seul pays où l’on ne touche presque rien… ». Parmi les nombreuses personnes interrogées, seul Jacques Wolter, président de l’US Hostert, semble se satisfaire de la situation dans sa globalité. Estimant la couverture « bonne à l’échelle du pays », mentionnant FuPa, DRIBBLE! et les quotidiens, il affirme aussi ne pas être déçu de l’accord avec RTL, espérant simplement dans le futur des rentrées d’argent. Une vision bien moins alarmiste qui détonne et explique peut-être la difficulté des clubs de BGL Ligue à véritablement monter au front. 

Une LFL pointée du doigt 

Comment a-t-on alors pu se retrouver avec une signature entre RTL et la BGL Ligue alors que la grande majorité des clubs s’estime flouée dans cet accord ? À cette question, en utilisant parfois le conditionnel, les dirigeants pointent du doigt la LFL, qui « pourrait être la locomotive » selon Luc Hilger, mais qui déçoit par son manque de dynamisme. Pascal Welter poursuit : « La LFL est censée être cet organe de discussion et qui devrait représenter les intérêts des clubs… Je ne peux pas me prononcer, car je ne sais pas concrètement ce qui s’y passe. Mais selon mes informations, le deal a été signé entre la LFL, la FLF et RTL, donc la LFL aurait dans ce cas donné son accord… » 

Karine Reuter, présidente de la LFL, a elle aussi répondu à nos questions. Si elle se désole également de la lente mort de la couverture de la presse écrite du sport luxembourgeois, mettant un point d’honneur à rappeler les situations dramatiques des divisions inférieures ou du football féminin, l’absence de rentrées financières s’explique selon elle par un refus catégorique de RTL. « Ils ne veulent rien payer. D’après eux, la diffusion coûte trop cher pour qu’ils puissent payer quelque chose. Nous avons reçu des avoirs en nature, comme de la pub gratuite sur le Live Arena, mais bon, c’est compliqué de vendre cela à un sponsor. » Si l’on peut évidemment comprendre sa déception, on a du mal à saisir comment, alors, un accord a pu être validé si les deux partis ne s’y retrouvaient pas… 

À l’image de Michael Schenk et du FC Wiltz, le désir d’agir semble pourtant bien présent : « Je l’avais suggéré (NDLR Avoir un représentant pour la BGL Ligue). J’ai proposé de faire un marketing global. La personne qui voulait le faire n’a pas été contactée. Je pense qu’il y a du potentiel et des sponsors qui pourraient être intéressés ; ça n’est pas à moi de décider, mais il est nécessaire, pour tout le monde, que cela soit au niveau des droits TV ou la communication globale. Il y a du potentiel. Il faut une personne en charge de tout ça, et on n’a pas le temps en tant que président. Il faut une personne, une entité, qui prend ses commissions, et tout le monde est gagnant. » 

Il est certain que pour que les choses évoluent, il faut acquérir une unanimité de la part des clubs du championnat. Et à l’image de Jacques Wolter, qui ne semble pas ressentir un besoin vif d’action, on se retrouve, encore une fois, avec une BGL Ligue à la dualité évidente, entre ceux qui se satisfont de la situation et les autres qui veulent tout chambouler. Un constat que partage Luc Hilger, qui, plus qu’un problème de structures, pointe du doigt la mentalité luxembourgeoise, qui n’est pas nécessairement la plus combative. « C’est le problème de la mentalité luxembourgeoise : il faut les pousser pour bouger. Les gens ne s’activent pas vraiment si on ne les y force pas. Le Luxembourg est atypique. La grande majorité des clubs sont soutenus par une ou deux personnes. Du moment où l’argent rentre, on ne se pose pas de questions. »

RTL Live Arena, danger pour les affluences? 

En 1984, Canal+, chaîne française naissante et payante, décide d’innover en proposant du jamais vu dans le football de l’Hexagone : la diffusion des rencontres de la Division 1 d’alors. Ce positionnement inédit fait jaser au sein du microcosme sportif, particulièrement inquiet de voir les supporters choisir de rester devant leur écran plutôt que de se déplacer au stade. L’histoire retiendra évidemment que le pari de la chaîne cryptée sera payant et que l’affluence au sein des enceintes n’aura cependant pas été influencée, tout du moins pas négativement. Un exemple qui tend à confirmer qu’augmenter la visibilité et l’attractivité d’une discipline peut définitivement représenter un cercle vertueux pour tous et infirmer l’idée que la diffusion de rencontres sur grand écran pourrait diminuer le nombre de personnes au stade le week-end. Un avis partagé avec véhémence par Thomas Gilgemann, qui, questionné sur la théorie d’une baisse de spectateurs liée à Live Arena, rejette catégoriquement cette idée : 

« Il n’y a pas de rapport selon moi. Ceux qui aiment le foot viennent au stade. Peut-être que ça joue un tout petit peu en hiver, quand il fait vraiment moche… Mais je pense qu’au contraire cette diffusion participe au développement du foot luxembourgeois. Regardez à l’étranger, les matchs sont diffusés, pourtant les stades sont pleins ! » D’autres, comme Schenk, Hilger ou encore Wolter ne sont pas si dithyrambiques et n’affirment pas que le streaming a pu avoir des conséquences négatives sur l’affluence globale, même si certains s’en inquiètent. 

Un travail individuel de plus en plus intense 

À entendre ces propos, on pourrait vite penser que ces observateurs règlent leurs comptes sans remettre en cause leur activité. Heureusement, certaines réponses nous confirment que ce n’est pas le cas. Ainsi, la vaste majorité de nos interlocuteurs estime que c’est aussi leur rôle de faire un gros travail sur la communication interne : 

« Je n’ai pas peur de le dire, à Strassen, on n’est nulle part sur les réseaux sociaux », assène avec honnêteté Luc Hilger. « On doit agir pour trouver une nouvelle clientèle, leur faire découvrir le foot et le club. J’ai l’espoir qu’avec le nouveau projet, on aura d’autres possibilités de communiquer. Mais il est certain qu’il faut agir là-dessus. » Une opinion partagée par beaucoup d’autres, à l’image de Thomas Gilgemann, en charge d’un des clubs les plus actifs sur les réseaux sociaux, mais aussi Pascal Welter, qui souligne tout de même que ces améliorations nécessitent un coût financier conséquent : « Le Fola, comme la plupart des clubs au Luxembourg, est géré par des bénévoles. Aujourd’hui, on en voit certains qui mettent du budget dans le marketing digital et qui le font très bien, à l’image de Niederkorn. Mais cela a un coût. On essaye de trouver le juste milieu entre en faire plus, ce que l’on devrait faire, et la réalité de la situation. On fait avec les moyens que nous avons. » 

Là aussi, Michael Schenk, du FC Wiltz, abonde : « À Wiltz, l’année passée, Jordy Fourgon faisait la communication du club. Il a fait un excellent travail et a ensuite été transféré au Borussia Mönchengladbach, signe de son très bon boulot. On a embauché une autre personne pour s’occuper de notre communication sur tous les réseaux. C’est très important, et d’autres clubs comme le Racing, Dudelange ou Differdange le font très bien. » 

Mais là encore, on arrive toujours à trouver certaines personnes qui, si elles ne sont pas récalcitrantes, ne ressentent pas le besoin de s’adapter à un nouveau monde, de plus en plus orienté vers le digital. Et certains continuent à mettre la perte de vitesse de la BGL Ligue et les affluences de plus en plus faibles sur le dos du covid ainsi que de la météo. 

L’heure est à l’urgence 

Entre l’absence de revenus et le silence de plus en plus oppressant de la presse écrite, les dirigeants de BGL Ligue, s’ils concèdent certaines avancées, demeurent néanmoins inquiets quant au futur. Et le présent, avec des affluences de plus en plus faibles, ne peut évidemment pas les rassurer. Ainsi, alors que le football européen remplissait plus que jamais les stades dès la fin des restrictions sanitaires, les enceintes du Grand-Duché, elles, sonnaient terriblement creux… Sans public, avec une visibilité dans la presse et la radio drastiquement réduite et un streaming vital, mais sous le sceau d’un accord jugé injuste, les motifs d’inquiétude doivent faire réagir les clubs au plus vite. 

Le football luxembourgeois demeure à part dans le cosmos du ballon rond européen, avec ce championnat semi-professionnel aux statuts vagues. Si celui-ci doit subsister alors que l’opulence de ligue étrangère sur les écrans ne fait que grandir, il va falloir, aussi vite que possible, réussir à faire front commun, médias comme joueurs, dirigeants comme supporters, et trouver des solutions pour une discipline peut-être plus en danger qu’il n’y paraît. Sous peine de voir toutes les personnes impliquées au quotidien finir par perdre la foi et laisser alors des clubs se débrouiller seuls, allant vers une perdition quasi inexorable. 

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