Enquête sur les finances d’un championnat virtuellement au bord du gouffre : la sonnette d’alarme se fait entendre pour nos clubs, et tout le microcosme du foot au Grand-Duché est mis en péril avec eux. Partout sur la planète foot, la situation économique est en souffrance. Les différentes crises sanitaires, immobilières, géopolitiques, ont fait des […]
Enquête sur les finances d’un championnat virtuellement au bord du gouffre : la sonnette d’alarme se fait entendre pour nos clubs, et tout le microcosme du foot au Grand-Duché est mis en péril avec eux.
Partout sur la planète foot, la situation économique est en souffrance. Les différentes crises sanitaires, immobilières, géopolitiques, ont fait des dégâts considérables, et la gestion à l’ancienne ne fait plus ses preuves. Les fonds d’investissement étrangers ont montré leurs limites, nos voisins belges et français en font les frais fréquemment, avec des situations allant jusqu’au dépôt de bilan ou à la rétrogradation sportive. L’heure des comptes pour les clubs luxembourgeois fragilisés par des résultats confidentiels à l’échelle du continent.
Depuis le coup de tonnerre des refus de licence UEFA, la question économique de notre football est sur toutes les lèvres. 4 clubs de l’élite n’ont pas été en mesure de remplir les critères financiers compilés dans le Manuel national sur l’octroi de licence aux clubs édition 2023/2024, mais il ne s’agissait que de la partie émergée d’un iceberg en danger.
Les sanctions prévues par la FLF au-delà de l’octroi de la licence étaient pourtant lourdes : « un avertissement, respectivement une amende allant de 100 à 2500 euros, respectivement un retrait de points allant de 1 à 9 points pour la saison de licence, respectivement une relégation de force dans une Division inférieure en cas de récidive. » Une mauvaise gestion financière en cas de violation des critères financiers menaçait également d’entraîner une baisse des subventions pouvant s’élever jusqu’à plus d’un million d’euros pour un habitué des qualifications européennes. Quand on constate que la survie de certains clubs historiques relève pour beaucoup de ces subsides, on est porté à croire que la plus haute instance nationale est encline à la clémence. En effet, si l’on ne plaisante pas dans les textes avec la santé financière des clubs et à travers eux des acteurs du jeu, on ne risque en pratique pour le moment… aucune sanction. De quoi limiter l’impact de toute politique répressive pour les mauvais payeurs.
Les clubs qui ne jouent pas le jeu continuent pourtant de jouer les premiers rôles dans le championnat national et d’obtenir des subventions leur permettant de poursuivre à crédit. Les dettes des équipes envers leurs joueurs et fournisseurs s’accumulent, les comptes sont dans le rouge : une situation qui pourrait en tout état de cause signifier la cessation d’activité pour la moitié de la ligue. Notre devoir d’information s’accompagne d’une légitime inquiétude pour l’avenir de nos clubs, et derrière eux de tout le football au Grand-Duché, dont les marques, sponsors et même médias sportifs dépendent en grande partie.
Le principal responsable de leur santé financière moribonde d’après les clubs sont leurs créances envers leurs clients : « à la limite de l’insolvabilité, certains sponsors et investisseurs ne respectent plus leurs obligations de paiement » (Rapport de gestion du F91), ce qui tend à justifier les résultats négatifs des bilans annuels. Dans un souci de transparence, le règlement UEFA oblige chaque entité à publier ses états financiers et ses rapports sur son site internet : toutes les données évoquées dans les pages suivantes sont donc vérifiables en quelques clics.
Nous avons facilité la tâche de nos lecteurs en regroupant les éléments principaux dans des tableaux, effectuant ici des additions pour définir une somme, là des soustractions pour obtenir un solde. On découvre les principes de vases communicants, entre salaires de base et indemnités complémentaires, lignes de dépenses fléchées et « Autres dettes », prêts personnels de la présidence du club et abandon de créance pour renflouer les caisses.
On ne va pas se plaindre que là où est l’argent, il serve à sauver nos clubs de la banqueroute. Et tout le système du foot avec. Mais serait-ce reculer pour mieux sauter, ces apports ne servant que de bouffée d’oxygène éphémère? Alors, au bord de l’asphyxie, notre football ? Décryptage.
Si les 16 clubs de BGL Ligue en 2023-2024 avait été classés selon leurs résultats financiers (arrêtés au 31 décembre 2023) plutôt que sportifs, la donne aurait été tout autre. Analyse factuelle de la situation économique des équipes de l’élite, chiffres à l’appui.
Premier enseignement : sur les 13 clubs maintenus en BGL Ligue à l’issue de la saison 2023-2024, seuls 5 sont dans une situation financière saine avec des fonds propres suffisants (en vert)* : l’UNA Strassen, avec la gestion économe et épargnante de son président Luc Hilger, est le mieux loti et devrait encore pérenniser sa première place en mars prochain grâce à la qualification européenne. Suit l’US Mondorf, club géré « en bon père de famille » comme le souligne Christian Strasser, avec plus de 340.000 euros de fonds propres, la masse salariale la moins élevée et pourtant parmi les moins bien dotés au niveau des subsides. Le Victoria Rosport se porte bien, tout comme le FC Wiltz, devant Mondercange à l’équilibre, loin de dépenses fastueuses.
Un classement que le Président de Mondorf juge en lien avec le coeur et la passion qui animent certains comités pour leurs clubs, tandis que d’autres accusent le coup du « poids d’un historique, d’un environnement ou des médias qui en attendent beaucoup ». Quand on lui demande le secret des finances saines, il évoque avec émotion cette bande de « quatre copains, anciens joueurs ou supporters de l’USM, qui ont repris il y a une vingtaine d’années un club qui n’avait qu’une équipe première et une équipe de jeunes pour créer une véritable structure. Depuis, beaucoup de monde nous a rejoints, mais les quatre sont encore là. Aujourd’hui je suis fier d’être dans un club avec des valeurs qui nous unissent et nous réunissent. » Cela passe selon lui par des partenariats avec les clubs voisins pour augmenter significativement le nombre d’équipes de jeunes (Schengen, Weiler, ou encore Remich-Bous pour les cadettes), si bien que cette année, Mondorf en compte plus qu’à tout autre instant de son histoire. « Ce club, c’est plus qu’une équipe première, c’est une bouffée d’oxygène. Mondorf est un village, on vient au stade pour prendre du plaisir, se retrouver entre amis et boire un verre. » Une passion chevillée au corps.
Oui mais voilà, pour gagner, se professionnaliser, tenir la dragée haute aux champions des autres nations européennes de notre calibre et faire son trou en coupes d’Europe, il faut un plan ambitieux. Dépenser. Investir et espérer des résultats sportifs à la hauteur des efforts financiers consentis. C’est pourquoi on retrouve Differdange, Hesperange, Dudelange et Niederkorn respectivement en 8e, 9e, 11e et 12e positions. La situation du nouveau champion est relativement stable, notamment grâce à la cession d’une créance de son président, mais celle de ses trois poursuivants reste inquiétante. On savait le Swift en difficulté ; si la propension de son sponsor principal à injecter des fonds (3.824.957€ en 2023) pour en récolter les fruits sur le plan sportif est de nature à rassurer, on s’interroge sur l’avenir d’une telle dépendance sans participation européenne cette saison. Ou d’un Swift sans Flavio Becca. On connaissait la recherche active d’investisseurs du F91, le serpent de mer de la rumeur turque revenant inlassablement à tous les suiveurs de la BGL Ligue depuis le départ du même Becca. On sera en revanche plus circonspect face à la situation d’un Progrès pourtant en pleine évolution marketing et en processus de professionnalisation, alors que celle du Fola relevait de la notoriété publique et s’améliore petit à petit, bien que le club fonctionne comme tant d’autres exclusivement sur la base du bénévolat.
La 2e colonne donne l’aperçu le plus significatif de la santé de n’importe quelle entreprise. Les fonds propres sont le baromètre financier de la solidité des clubs. Une insuffisance de fonds propres (solde négatif, en rouge dans le tableau) est synonyme de difficultés pour obtenir des emprunts bancaires et présente le risque d’un dépôt de bilan. En effet, les actionnaires et investisseurs sont censés faire cesser l’activité, sauf en cas de prévision d’une grosse rentrée d’argent dans l’année.
L’intérêt du sport est que « tout est possible dans le football » : alors on reporte la dette sur l’exercice suivant en attendant une qualification européenne. « Une fuite en avant » d’après Christian Strasser. Les rapports de l’Union Titus Pétange et de la Jeunesse d’Esch préviennent : le risque d’insolvabilité est réel en cas d’exigence de remboursement des dettes ou de non-respect d’une mensualité. Rappelons également que l’auditeur de la Jeunesse précise que « certaines opérations ne sont pas comptabilisées », n’ayant « pas été en mesure de valider l’exhaustivité des comptes de dettes, charges et revenus ».
Le rapport de gestion écrit par la direction du Racing présente le verre à moitié plein même si la une situation est au mieux similaire à celles de la Jeunesse ou de l’UTP. On aurait pu croire que la politique qui consiste à miser sur la formation et une équipe première faite de jeunes issus de l’Académie aurait réduit la masse salariale, mais la politique de recrutement ambitieuse cet été pourrai s’avérer à double tranchant. Gageons que si la FLF a entériné la licence UEFA pour le Progrès ou le Racing en appel, c’est que le plan d’apurement de leurs dettes lui paraissait à tout le moins réaliste et ne les mettrait pas en difficulté. Au risque de devoir rogner sur les salaires existants, comme le Fola qui a réussi à renégocier les contrats, ou le Swift qui a dégraissé son effectif jusqu’à laisser partir une vingtaine de ses joueurs.
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