Longtemps considéré comme un loisir plus qu’un sport, les échecs sont désormais entrés de plain pied dans la sphère sportive, et prétend même retrouver comme autrefois sa part dans les médias. Retour avec le président de la fédération sur un boom exemplaire.
À étudier l’évolution du nombre de licenciés dans les clubs d’échecs (appelez-les « cercles »), la croissance est exponentielle. Autour de 600 membres affilées en 2014, puis plus de 800 en 2019 avant une explosion ces trois dernières années, si bien qu’à l’heure actuelle, les échéquistes sont près de 1600 au Grand-Duché (1581 en mai 2025). Comment expliquer ce bond en avant (+265%!) qui a surpris même les plus enthousiastes ? De trois manières selon Olivier Jeitz, président de la Fédération Luxembourgeoise des Échecs (FLDE).
D’abord la série Netflix The Queen’s Gambit (ou Le Jeu de la Dame en français), inspirée du roman de Walter Tevis et sortie en 2020 : le programme a battu des records d’audience et a profité des confinements et couvre-feu dus à la pandémie pour se faire une place de choix dans les salons des Luxembourgeois. Ainsi, de nombreux jeunes, et notamment des filles, ont découvert les échecs dans une version dépoussiérée et dynamique.
En deuxième lieu, les subsides Qualité + du gouvernement ont joué un rôle indéniable dans le développement du jeu au Grand-Duché : les cercles qui ont investi dans des entraîneurs qualifiés ont vu leur pari porter ses fruits avec une demande qui a explosé chez les jeunes : 684 licences jeunes, dont 22,5% de filles.
Enfin, les nouvelles technologies sont louées par la FLDE : « désormais, chacun peut jouer aux échecs quand il veut, où il veut. Il suffit d’une application, d’une connexion internet pour jouer en ligne. Avant on devait trouver un adversaire et il fallait parfois attendre longtemps. À présent, en quelques secondes seulement, des centaines de joueurs à travers le monde sont prêts à chaque instant à jouer une partie. Et cela permet également une grande flexibilité et la même variété : on peut jouer à la plage, dans les transports en commun, face à quelqu’un qui habite à l’autre bout du monde ! »
L’ensemble de ces facteurs ont contribué à la création de nouveaux clubs : ces dix dernières années, la fédération a enregistré 25% de cercles supplémentaires. « Dont certains en périphérie de la capitale qui jouit d’une grande communauté d’expatriés » explique Olivier Jeitz. Mamer, Bertrange, Strassen, autant de clubs qui permettent aux enfants des binationaux de se retrouver autour de l’échiquier. Avec une instance nationale membre de la Fédération Internationale Des Échecs et de l’Association Internationale Des Échecs Francophones, le club de Esch-sur-Alzette organise mêmes des entraînements professionnels pour tous les niveaux en collaboration avec l’École de Nancy du Jeu d’Échecs, profitant de ses Maîtres et Grands-Maîtres donc certains figurent parmi les meilleurs joueurs français.
Car les échecs sont vus par le président de la fédération comme un véritable vecteur d’intégration et d’inclusion : on peut jouer une partie sans barrière de la langue, sans aucune distinction liée à l’âge, au sexe, à la nationalité, ni même au handicap physique.
Et n’allez pas dire que ce n’est pas vraiment un sport : « C’est bien un sport à part entière. Cela demande une préparation importante avant les compétitions, avec des entraînements théoriques et pratiques, il faut être prêt sur le plan mental mais aussi physique, car en tournoi, cela peut s’étaler sur 9 à 11 jours ! » Côté entraînement, les séances n’ont rien à envier aux analystes vidéos des meilleurs équipes de football : révision des ouvertures, enchaînement de toutes les variantes, répétition des phases tactiques et mises en situation avec changements pour ne pas s’avérer être trop prévisible en compétition… « On peut comparer avec le tir-à-l’arc : c’est une concentration extrême. Un seul mauvais coup et on peut tout perdre. »
Pour se préparer, Olivier Jeitz conseille à tous les échéquistes d’être en bonne condition physique : faire du sport à côté pour garder la forme est essentiel pour la concentration. Mais alors, si les échecs sont un sport, pourquoi les médias, y compris le nôtre, boudent-ils sa couverture ? Le président de la FLDE a son idée : « avant il y avait toujours les classements des tournois dans les pages sportives, mais cela a disparu. L’ère des médias numériques a changé la manière dont les reportages classiques sont réalisés. »
Pourtant les échecs luxembourgeois n’ont pas à rougir de leurs résultats internationaux. Pour une fédération qui compte 1500 licenciés, ses représentants ont obtenu plusieurs fois des places dans le top 50 européen. Avec un cadre constitué de 28 adultes et 32 jeunes, et malgré la mise en place d’entraînements systématiques depuis 2022, on serait en droit de n’avoir guère d’exigences. Pourtant, lors des 45e Olympiades d’échecs à Budapest en 2024, l’équipe Open (mixte) a atteint la 81e position sur les 188 engagées.
Chez les dames, c’est même le 64e rang sur 169 pour cette compétition majeure qui se déroule tous les deux ans. « On n’est pas loin du top 30, rêve Olivier Jeitz avant de se montrer plus réaliste. Notre équipe de dames est potentiellement la plus forte, mais nous ne pouvons pas rivaliser avec des pays qui dispose d’un vivier de joueurs bien plus important. » La lumière pourrait alors venir des jeunes ? Lors des Championnats d’Europe 2024 à Prague, la délégation a pour la première fois atteint les 20 représentants, encadrés par 4 entraîneurs. Pas suffisant pourtant pour réaliser des performances continentales malgré un score de 50% ou plus obtenu pour trois d’entre eux. Mais assez pour continuer à croire en une progression du jeu d’échecs au Grand-Duché.
Après les Field Sports, le Cricket ou encore l’Indiaca, découvrez le quatrième volet de notre dossier « Sports à part » : ces sports méconnus, de niche, ou mal considérés. Peu médiatisés, ils représentent pourtant réunis plus de 14.000 licenciés sur notre sol. Ensemble ils formeraient la troisième grande richesse sportive du pays ! Entre communautés qui ont importé leur passion avec leurs valises et disciplines confidentielles, retrouvez ces sports à part qui font aussi partie intégrante du paysage sportif luxembourgeois.
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