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Bilan : la face sombre du racisme ordinaire

8 minutes
racisme ordinaire

Faiblement médiatisé au Grand-Duché, le racisme dans le football n’en est pas moins une réalité aussi présente que chez nos voisins. Témoignage bouleversant d’une joueuse qui dénonce le racisme ordinaire à visage découvert.

« On perd le sommeil. Et le plaisir sur le terrain ». On sent l’émotion dans la voix de Sébé Coulibaly, offensive depuis deux saisons au Swift Hesperange et au parcours professionnel aguerri. Internationale malienne avec deux CAN féminine à son actif (dont une demi-finale en 2018), passée par la Ligue 1 française à l’AS Saint-Étienne et comptant de nombreuses capes en Ligue 2 avec le Tremblay FC, le RC Saint-Denis ou encore le FF Yzeure, Sébé est arrivée au Luxembourg en provenance de Nîmes en 2023. « On m’avait dit que le Luxembourg, c’était génial, jusqu’à ce qu’on trouve une Luxembourgeoise pour te remplacer. » Et ça a été génial pour elle, du moins la première année. Alors qu’elle songeait à arrêter le foot, elle trouve un nouveau projet à Hesperange, où on lui parle d’une éventuelle participation en Champions League. Immédiatement, elle est séduite par les infrastructures, l’encadrement et le groupe de filles dans lequel elle se sent tout de suite à l’aise.

Le diable est dans les détails

Jusqu’au changement de staff à l’hiver dernier. On lui avait promis que les places dans le groupe se gagneraient au mérite. Mais Sébé a vite déchanté. « Quelles que soient mes performances à l’entraînement, je savais que je n’allais pas jouer. Je n’ai pas de mal avec la concurrence, toutes les filles alignées sur la phase retour méritaient leur place autant que moi. Mais là c’était lié à ma personne. J’avais l’impression que je ne jouais plus à cause de ma couleur de peau. » Une conclusion hâtive ? C’est ce qu’elle-même se disait, refusant de témoigner par peur d’être vue comme une hystérique « qui se victimise et crie au racisme ». C’est le plus insidieux dans le concept de racisme ordinaire. On n’en est plus au stade légalement répréhensible des plaisanteries clairement injurieuses entendues au bord des terrains (florilège affligeant : « cours, Kirikou ! », « retournez chez vous » ou « rentrez en Afrique ! »). Le diable se cache dans les détails. 

Tout a commencé fin janvier. Sébé Coulibaly revient de Paris spécialement pour un match de préparation. Elle s’est entraînée pendant la trêve et a une forme olympique. Lors de la rencontre elle s’installe sur le banc et à sa grande surprise entend le coach à la mi-temps dire que le groupe ne pourrait pas compter sur elle parce qu’elle était blessée. Mésentente ? Lorsqu’elle indique au staff que tout va bien, on s’énerve : « alors vas t’échauffer si tu veux jouer! » On lui crie dessus. Un coup de sang bientôt suivi d’un autre. Sébé est touchée mais ne prend pas ombrage. Elle en a connu largement d’autres. À Nîmes on l’accueillait en dansant et en prenant l’accent antillais… Ou en déplacement dans le nord de la France avec Saint-Denis : « les insultes, les cris de singe, je connais, le staff nous prévenait d’ailleurs, pour qu’on soit préparées. »

« Tu n’es plus un humain mais un animal. »

Mais les anecdotes s’enchainent et sa parole se libère : « Ce qui m’a plu à Hesperange, c’est la mixité : des Luxembourgeois, des Capverdiens, des Nord-Africains, il y a de tout. Mais ça ne pouvait plus durer cette année. Aux entraînements, mon nom n’était jamais cité, comme si je n’existais pas. On distribuait les chasubles à toutes les filles sauf à moi. Quand je subissais des fautes, on arrêtait tout pour féliciter l’autre fille ». Une invisibilisation avec un impact fortement négligé. « Quand tu rentres chez toi, tu ne passes pas à autre chose. Tu rumines. Tu perds ta confiance en toi. Tu n’es pas bien dans ta tête et tu es davantage sujet aux blessures. »

Mise au placard

Quelques semaines plus tard, alors qu’elle se faisait soigner au club pour une lésion au tendon d’Achille, elle a entendu le staff parler d’elle dans la pièce à côté : « s’il faut virer les gens comme ça, sans problème. ». Elle prend sur elle, encore. Elle n’est pas dans le groupe à son retour de blessure, soit. La semaine suivante non plus. Elle respecte le choix du coach. La troisième semaine, Sébé Coulibaly constate qu’on préfère prendre dans le groupe une fille de 14 ans de l’équipe U16, voire une blessée incapable de jouer plutôt qu’elle. À tel point qu’elle s’est cru devenir parano. « Je croyais que j’étais folle. C’est une coéquipière qui a mis les mots un soir, en me disant : « c’est parce que tu es Noire, on ne se serait jamais permis ça avec moi ». J’en étais à me dire que j’avais moins le niveau dans un match important qu’une fille de 14 ans. Tu te poses trop de questions. Tu ne dors plus et fatalement tu ne joues plus ton meilleur jeu. On te réduit en fait : tu n’es plus un humain mais un animal. C’est dur. »

Une situation de racisme ordinaire bouleversante  On sent malgré toute sa bonne humeur que Sébé est touchée au plus profond par ces comportements en apparence anodins. Mais elle prend pourtant cet épisode avec une philosophie qui force le respect : « Je peux partager mon expérience avec mon petit frère qui fait du hand à Paris. Je lui donne des armes. Au bout d’un moment, je n’étais plus dans la souffrance mais dans l’apprentissage. » Un apprentissage où elle a laissé des plumes mais qui lui permet selon elle de faire en sorte que les choses évoluent. « Le football donne beaucoup d’émotions qui font que certaines personnes ne se contrôlent plus. Mais il faut en parler et que la fédé fasse des choses concrètes. ». Une fédération pourtant si fière de la mixité, dont le président Paul Philipp témoignait l’an passé dans nos colonnes : « notre équipe, il suffit de la regarder pour s’apercevoir qu’elle est à l’image du Luxembourg : c’est une équipe d’intégration et c’est un beau message pour nos jeunes. »

« Quand j’ai compris que ma présence dérangeait plus que mon absence, j’ai choisi de rester. »

Et c’est précisément le but de la prise de parole de Sébé Coulibaly : « J’accepte d’avoir subi cela si je peux en parler pour que demain cela permette à 10 personnes de ne pas le vivre. Certains peuvent perdre totalement confiance et arrêter le foot. On ne regarde plus ta façon de jouer mais ta couleur de peau. Je ne voyais pas d’issue. Je ne pouvais en parler ni au staff, qui était complètement « matrixé », ni aux filles qui compatissaient mais ne pouvaient pas comprendre ce que je traversais. C’était difficile. Mais j’ai tenu. Quand j’ai compris que ma présence dérangeait plus que mon absence, j’ai choisi de rester. »

Des racines systémiques à déconstruire

Au mois de mai, la coupe était pleine. Quand à la causerie d’un retour de match on l’évince d’une réunion pour préparer la saison prochaine, ce qu’elle décrit comme un « manque de professionnalisme » fait déborder le vase. « On doit parler du racisme ordinaire dans le football car cela commence dès le plus jeune âge, et il faut que les encadrants soient sensibilisés. Honnêtement, ça aurait pu se passer dans n’importe quel club. Certains coachs n’ont pas conscience qu’il faut protéger ses joueuses de ce genre de racisme. Ce n’est pas une question de club mais de mentalité. On le voit même au plus haut niveau avec Vinicius ! Et au plus bas. J’ai entraîné les bambinis au Swift. Un éducateur, que j’apprécie beaucoup par ailleurs, est venu me voir parce que les enfants voulaient jouer à « Wien fäert de schwaarze Mann ? » [« Poule, renard, vipère » en français, mais la traduction littérale du luxembourgeois est « Qui a peur du Noir ? »]. Quand il l’a prononcé, il s’est rendu compte que ce n’était pas très cool… Et pourtant ce n’était pas malveillant ! Ce racisme ordinaire, il est ancré dans les racines ». 

Et sans prise de conscience assumée des instances, il restera une tradition complaisante qui continuera de faire des dégâts dans l’ombre. Contacté par nos soins, le comité du Swift dénonce avec la plus grande fermeté toute forme de racisme. Par la voix du responsable de sa section féminine, le club a déclaré ne pas avoir connaissance du mal-être de la joueuse et que la porte aurait été ouverte pour en discuter. Selon lui, « il est tout à fait compréhensible que Sébé ait un sentiment d’injustice d’avoir été écartée d’un groupe où elle avait sa place avant le changement de staff. L’absence de maîtrise de la langue luxembourgeoise n’a sans doute pas aidé à son interprétation des propos. Mais ce sentiment de racisme, il a surtout été instillé par sa coéquipière. Nous avons déjà du mal en entendant certains propos venant des tribunes, nous ne tolérerions jamais que cela vienne de l’intérieur. » Dont acte.

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