
À seulement 29 ans, Raphael Duarte est devenu cet été entraîneur adjoint au Werder Brême. Entretien avec un passionné de ballon rond à l’explosion précoce, et dont l’aventure dans le monde du football ne fait que commencer.
Depuis ton arrivée au Werder, tu sens que tu es rentré dans une nouvelle dimension ?
L’intégration se passe bien. On a eu pas mal de changements au sein de l’effectif cet été, avec certaines recrues arrivées en fin de mercato, donc ça met un peu plus de temps pour consolider tout ça, que le groupe comprenne bien toutes les idées. L’objectif est de mettre en place un style de jeu un peu différent d’avant, tout en rajeunissant le groupe. On veut avoir de bonnes bases pour le futur et une idée de jeu forte pour les années à venir. Nous sommes sur une bonne dynamique récemment, donc ça donne plus de temps pour travailler.
Concernant la dimension, évidemment que le club est totalement différent que ce que j’ai connu par le passé, que ça soit au niveau des supporters et des infrastructures notamment. C’est l’un des clubs les plus historiques d’Allemagne, donc forcément, c’est quelque chose. Mais j’étais quand même en 2.Bundesliga la saison passée, où les stades sont pleins et le travail était le même donc je dirais que je suis quand même dans la continuité de ce que je faisais la saison passée.
Qu’est ce qui t’a le plus impressionné ici ?
Concernant les infrastructures ou encore les spectateurs, on savait que ça allait être plus grand que ce qu’on avait connu avant, mais ce qui m’a impressionné, c’est le staff et toutes les personnes qui travaillent pour le club. On a plus de 300 personnes qui travaillent pour le Werder. C’est vraiment un club où les gens sont super sympathiques, ils font leur maximum pour nous aider. C’est une famille, et c’est ce qui est beau. Tu as le côté gros club, mais familial malgré tout. C’est ce qui le distingue des autres.

Ça fait bientôt quatre ans que tu travailles comme adjoint d’Horst Steffen. Comment l’as-tu rencontré ?
Mon idée première n’était pas forcément d’aller en Regionalliga dans un rôle d’adjoint [ndlr : au moment où il rejoint Elversberg, le club évoluait en quatrième division allemande]. Mais en discutant avec le coach, il m’a expliqué qu’il voulait un peu plus se concentrer sur la gestion du groupe, et il voulait quelqu’un qui s’occupe vraiment des entraînements, avec une grande influence dans le contenu et l’idée de jeu. J’avais donc la possibilité dès le départ d’animer les séances. C’était très intéressant pour moi car je pouvais voir comment Horst gérait un groupe, et de l’autre côté je pouvais faire des expériences en mettant mes idées en place et en dirigeant les entraînements.
C’est une collaboration qui est intéressante pour les deux partis. Horst est un véritable meneur d’hommes. Il sait parler aux joueurs, même avec ceux qui ne jouent pas. Il sait faire grandir les jeunes également, et j’essaie de m’inspirer de ça. Ensemble, on souhaite développer un style intensif. On n’est pas encore à 100% mais ça va venir avec le temps. Avec ballon, on veut un jeu attractif comme on avait pu le mettre en place avec Elversberg, où on marquait énormément de buts.
À seulement 29 ans, tu gravis les échelons à une vitesse folle. Quel est le secret de ton ascension ?
Il n’y a pas vraiment de secret, c’est comme tout dans la vie : il faut beaucoup travailler, et oser, savoir ce qu’on veut. J’ai su très tôt ce que je voulais faire et j’ai donc commencé à passer les diplômes à 15-16 ans pour rapidement entraîner des équipes de jeunes. Le plus important reste donc de travailler, beaucoup travailler.
Tu as même été coach principal à Canach à l’âge de 22 ans : ça ne devait pas être simple à gérer non ?
C’est vrai qu’à l’époque, c’était spécial, j’ai dû mettre les joueurs de mon côté par le contenu, leur faire voir que je pouvais les aider à gagner des matchs. C’était le chemin à prendre pour faire adhérer le groupe. Mais avant de les reprendre là-bas, je savais que ça allait bien se passer car les joueurs me connaissaient déjà et ils voulaient que je prenne le poste. Sinon, je ne l’aurais pas fait et j’aurais attendu un peu. Pas trop longtemps évidemment, car quand tu veux avoir une carrière à l’étranger, il faut commencer jeune au Luxembourg !

Tu as donc toujours eu cette ambition d’aller rapidement à l’étranger pour avoir une carrière d’entraîneur professionnel ?
Toujours oui. Je ne l’ai jamais vraiment clamé haut et fort, car après les gens sont toujours les premiers à émettre des avis pas toujours positifs. Mais dans ma tête, je savais depuis le départ que c’est ce que je voulais faire. Avec dans un coin de ma tête l’objectif de redevenir coach principal. Mais il ne faut pas y penser tout le temps. La seule chose qui peut influencer mon futur, c’est le travail que je fournis maintenant. Je me sens bien actuellement et c’est aussi grâce à la collaboration excellente que j’ai avec Horst donc je continue à me concentrer là-dessus et le reste viendra plus tard.
Est-il exact que l’adjoint est souvent le confident des joueurs et qu’ils ont plus tendance à lui parler qu’au coach principal ?
Pas chez nous. Il faut dire aussi que le coach est très proche des joueurs. C’est quelqu’un en qui les joueurs ont extrêmement confiance, il discute énormément avec eux. Ce n’est pas un coach à l’ancienne, un peu renfermé dans son coin avec des joueurs qui n’osent pas venir lui parler, il est très ouvert. Et de mon côté, l’âge doit forcément aider un peu.
Le fait de parler six langues aussi ?
C’est indéniable. C’est de plus en plus important dans le football moderne, car on peut parler avec les joueurs dans leur langue maternelle. Ils s’expriment plus simplement et le lien se fait plus naturellement avec eux. J’ai la chance de pouvoir parler le luxembourgeois, l’allemand et le français, j’ai appris l’anglais à l’école, je parle le portugais car j’ai la double nationalité, et je comprends bien l’espagnol donc ça m’aide beaucoup dans mon travail au quotidien.
Tu as aussi été analyste vidéo lors de ton passage à Hostert. C’est une corde à ton arc que tu utilises dans le monde pro ?
Quand j’ai commencé à Elversberg, on n’avait pas d’analyste vidéo donc on le faisait nous-même avec le coach, en regardant chacun des matchs. Au Werder, c’est évidemment différent et nous avons trois analystes vidéos dédiés qui ne font que ça. Une fois qu’ils ont fini leur travail, ils viennent me voir et on en discute, on débat sur les actions à montrer aux joueurs.
Le choix est arrêté, je vais organiser des séances de 15 minutes avec le groupe juste avant l’entraînement, deux à trois fois par semaine, pour leur montrer les images sélectionnées et ainsi préparer au mieux la rencontre à venir. On se concentre sur ce que le futur adversaire fait avec et sans ballon principalement. Nos analystes sont à un très haut niveau. Il y en a un qui se concentre sur les phases arrêtées, un autre sur les individualités, et enfin le dernier sur les tactiques générales des adversaires.
Autre thème phare : la data. À quel point est-elle intégrée dans un club de haut niveau comme le Werder ?
La data est quelque chose de très intéressant qui intervient dans beaucoup de domaines. Dans l’entraînement forcément : calculer le risque de blessure, combien de sprints les joueurs ont faits, adapter les séances pour les prochaines sessions, prendre des précautions avec certains joueurs car on voit que les données ne sont pas si bonnes que ça, faire en sorte qu’ils arrivent à leur pic de forme le jour de match… On a plusieurs préparateurs physiques qui s’occupent de ça.
Les datas sont également très utilisées pour le recrutement, ou encore pour l’analyse des prochains adversaires. On va les regarder pour confirmer ce qu’on a pu voir à la vidéo, ou au contraire nous donner une autre idée, quelque chose que nous n’avions pas forcément vu. La data va parfois nous permettre d’être plus attentif à certains détails.

Comment réussit-on à arbitrer entre ce que peut dire la data et ce que l’on analyse à la vidéo ?
L’œil humain reste le plus important. Surtout quand on a des analystes de ce niveau. Ils comprennent parfaitement ce qu’ils voient et ce qu’on désire instaurer comme style, et donc savent parfaitement nous isoler les séquences nécessaires pour les montrer aux joueurs derrière. Après, comme je l’ai dit, les datas vont parfois venir souligner quelque chose que l’on a vu, et l’exprimer avec des chiffres précis afin de pouvoir dire aux joueurs : « tant de pour-cent des actions qu’ils ont créées proviennent de contre-attaques » par exemple.
Ce qui te passionne le plus dans ton travail au quotidien : la gestion humaine, les séances d’entraînement, les jours de match ?
Je pense que c’est vraiment la préparation et la direction des entraînements. Je passe beaucoup de temps à créer de nouveaux exercices, à mettre en place les séances adéquates en fonction du prochain adversaire. C’est là où je peux être créatif et c’est là où je prends le plus de plaisir. Je trouve d’ailleurs qu’il est essentiel de toujours continuer à se former. Il y a des nouvelles modes, des nouveaux courants de pensée qui arrivent en continu dans le monde du football et c’est important de regarder ce qui se fait actuellement.
En ayant des origines portugaises, je suis assez sensible à la périodisation tactique et il y a beaucoup de formations à faire de ce point de vue-là. On en sait toujours plus après une formation donc c’est important de le faire car c’est ce qui caractérise la qualité de ton travail derrière. Si tu fais la même chose d’année en année, ce n’est pas optimal et tu ne fournis pas le meilleur de toi-même, tu ne t’améliores pas. Après, diriger les entraînements est aussi très gratifiant car tous les adjoints n’ont pas cette possibilité !
Tu es en Allemagne depuis bientôt quatre ans : qu’est-ce qui caractérise le plus son football ?
C’est un football intensif et tactique. L’Allemagne forme d’excellents entraîneurs et donc c’est complexe tactiquement, c’est du très haut niveau. Avec les magnifiques stades, où tu peux te retrouver à jouer devant 30 000 personnes en troisième division, c’est quelque chose d’unique. C’est ce qui caractérise le football allemand, c’est un vrai pays de football. Pour moi la Bundesliga est le championnat le plus tactique, et certains critiquent même que les jeunes joueurs commencent trop tôt à travailler tactiquement, ce qui empêcherait de développer certaines qualités comme la capacité à éliminer en un contre un.

Comment expliquer que le football allemand soit si populaire au Luxembourg ?
Quand j’étais jeune, je suivais beaucoup la Bundesliga mais aussi le championnat portugais. Je pense que c’est normal que les Luxembourgeois regardent en majorité la Bundesliga car c’est culturel. C’est un pays voisin, et cela se transmet de génération en génération.
Tu as un peu discuté de l’équipe nationale et des confrontations contre l’Allemagne ?
J’en ai parlé avec Nick Woltemade et il m’a chambré un peu (rires). Ça fait des années que quand je regarde un match, je ne peux m’empêcher de l’analyser. Mais j’essaie parfois, lorsque je reviens au Luxembourg pour voir l’équipe nationale, de me mettre dans la peau d’un simple supporter. Même si ce n’est pas simple ! (rires)
Mental Médias SARL
15 Rue Emile Mark
L-4620 Differdange LUXEMBOURG