24h dans la peau de Fabrizio Bei : 2/2

10 minutes
Fabrizio Bei ne s'arrête jamais
©Marco Noel

Le 1er octobre, le président du FCD03 a accepté qu’on le suive durant une journée entière. Suite de cette immersion totale dans l’ombre de Fabrizio Bei.

Après la première partie où l’on découvre l’homme et le chef d’entreprise, découvrez la suite de la journée jusqu’au bout d’un soir de match

Pour dresser un parallèle avec la fonction de chef d’entreprise de Fabrizio Bei, les passerelles ne sont pas évidentes. Gestion en bon père de famille, soit. Et une organisation tout aussi rodée. Il y a le côté humain bien sûr. Et la proximité des deux mondes, puisque Bei tient à ce que ses employés du FCD03 soient à demeure dans les locaux de son agence de promotion immobilière : une manière astucieuse de pouvoir rester au contact de tout le monde et de profiter du moindre temps « libre », ou plutôt d’un pause café. Par la force des choses, on finit par se marcher dessus dans des lieux prévus pour trois ou quatre personnes, même si l’on s’y sent bien. Ainsi, le président nous emmènera avec lui visiter une location qui pourrait offrir davantage d’espace et surtout un atout indéniable : située à quelques dizaines de mètres seulement du stade.

« Je vis Differdange : c’est presque une religion ! »

Si la visite ne sera pas concluante, elle aura eu le mérite de montrer un Bei minutieux, qui prend son temps pour réfléchir, peser le pour et le contre. Et demande l’avis de tous. L’image d’un dirigeant impulsif prend du plomb dans l’aile. En témoignent les différentes réunions hebdomadaires du FCD03 : « Tous les mardis, on tient une réunion avec tout le staff technique. Pour faire remonter les doléances, les profils à transférer en période de mercato, et revenir sur le match du dimanche, une dizaine de minutes chacun. Le mercredi, c’est réunion marketing. » Une réunion à laquelle nous assistons, en retrait, devant le responsable Andrea Colombo, homonyme parfait de l’arbitre italien qui avait entendu des noms d’oiseaux le 28 août. Ça ne s’invente pas. Autour de la table, Adham El Idrissi et Rafael Pinto attendent une voiture de fonction grâce au dossier préparé par la pétillante Trecy Gomes, employée chez Bei immobilière et secrétaire au club. Une autre Portugaise, Jessica Silva, également joueuse chez les dames, s’occupe désormais à plein temps des photos officielles et de la communication du FCD03. Car la passion n’empêche pas une réflexion stratégique.

« Je vis Differdange. C’est presque une religion pour moi. Et que ce soit pour un match européen ou en coupe de Luxembourg contre Ehlerange. Pendant une rencontre, je ne peux pas me contenir… Ma pauvre mère m’a fait comme ça ! » Il tente pourtant d’extérioriser autrement. Des séances de fitness deux à trois fois par semaine, comme le confirmera son coach personnel Fabio. « J’ai quelques kilos en trop, mais quand je me donne, je suis une bête : pendant 45 minutes, je ne m’arrête pas », nous prévient-il. Impossible de se fier aux seuls discours, les actes sont les meilleures preuves. Nous suivons donc le président Bei à bord de son Classe G direction Leudelange. 

Self-made man

Un complexe luxueux, un peu confidentiel, où l’on croise surtout des quinquas loin des standards des salles à la mode et des compétitions exhibitionnistes. Sa tenue enfilée, pas le temps de souffler : c’est d’une intensité qui dépasse l’entendement pour un homme de 58 ans. Tout y passe, quasiment sans pause : pompes, cardio, gainage, abdos. Un véritable buffle. Lorsqu’il abandonne le medecine-ball, c’est d’un amorti de l’intérieur du droit. Le foot n’est jamais loin. Même dans la douleur – car il souffre, visiblement. La séance durera 50 minutes. C’est lui qui réclame l’exercice suivant, même quand les veines à ses tempes menacent d’exploser. Il donne l’impression d’un volcan. Pourtant, il est encore capable d’un bon mot au détour d’un mouvement : « Je croyais que j’avais perdu du poids, mais je me suis trompé de maillot, c’est celui de Manso ! » Le temps passe, le souffle se fait plus rauque, le teint rubicond. La détermination est toujours intacte dans le regard. Il n’y a plus rien qui compte : la bête est de sortie. « High intensity » nous glisse Fabio. Même sur le ballon d’équilibre et malgré les croisés du genou gauche, tout tient. La fin est difficile. Mais c’est dans la souffrance qu’on voit les véritables guerriers. Ceux qui ne renoncent jamais. Une dernière série de 20 abdos avec 10 kilos et il ressort victorieux de ce combat avec lui-même. Et de glisser : « Tu vois, j’ai eu envie de m’arrêter à la 12e, mais je vais chercher dans la tête. Le jour où mes joueurs iront chercher là-haut, on sera en poules. Tu comprends pourquoi je leur en demande autant ? » Les ultimes étirements lui arrachent des râles d’agonie et l’on discerne à l’œil nu qu’il va puiser dans des réserves mentales qu’on pourrait croire inaccessibles.

©Marco Noel

La raison, il faut peut-être la chercher aux origines. Son grand-père et son père ont émigré d’Italie vers le Luxembourg en 1957. Dix ans avant la naissance du petit Fabrizio, il se lance dans le commerce comme restaurateur. Lorsque le temps des premiers emplois vient pour le fils prodigue, avec un brevet d’électricien en poche, un carrefour se présente à lui. Les études ou les chantiers. Il reprend les cours tandis que Paul Wilwert le harcèle pour qu’il vienne travailler pour lui chez Bureau Immobilier Bernard. « J’ai commencé le 7 janvier 1987. Je me rappelle : je jouais à l’US Dudelange, j’allais à l’entraînement puis j’enchainais les rendez-vous de 20h30 jusqu’à 22 ou 23h. Trois mois plus tard je devenais associé. » Mais à l’été 1994, Paul Wilwert s’éteint et Fabrizio Bei fonde sa société. « J’ai voulu démontrer que j’étais capable de travailler avec les grands de l’immobilier. Cette rencontre a été décisive : c’est le déclic sans lequel je ne serais pas là aujourd’hui, ni moi ni mes enfants. » L’histoire d’un self-made man reconnaissant. D’un fils d’immigré qui avait tout à prouver. «  Cette manière de ne pas lâcher, ça apporte un équilibre, une force. C’est ce que je dis à mes fils. Le plus jeune est un basketteur, il s’est fait trois fois les ligaments croisés : trois ! Et maintenant, il cartonne en Ju-Jitsu. Notre force à nous, c’est ça : le mental. »

« C’est dans la tête que ça se joue ! »

Avant d’aller au stade, détour à son domicile. Une maison classée à Esch-sur-Alzette, dans laquelle il habite depuis un an. Magnifique parquet point de Hongrie, immense toile abstraite, cave à vin alléchante. Un coup de cœur à mi-chemin entre patrimoine et modernité, qui a demandé plus de dix-huit mois de travaux pour le façonner à son image. Et changer de vie, laisser sa villa ultra-moderne à Soleuvre comme on abandonne les cheveux longs. Relever de nouveaux défis. Toujours en mouvement. « Je veux profiter au maximum, ne pas perdre une seconde. J’aurais voulu arrêter le temps après le premier titre. Les bons moments sont bien trop courts. » Fabrizio Bei aime parler. C’est un euphémisme. Mais contrairement aux apparences, il n’est ni donneur de leçons, ni narcissique. Il en oublierait presque la raison de notre présence. Il nous avoue qu’il s’octroie parfois dix minutes de sieste sur le canapé après le fitness, devant les dessins animés. Mais ce ne sera pas pour aujourd’hui. Car il y un match important ce soir. : Jeunesse Esch-FC Differdange. « Presque un derby pour moi ! ».

Une heure et demi avant le coup d’envoi. Arrivée au stade de la Frontière. On sent la pression monter. Le pire, c’est l’attente. Il trépigne déjà, à peine un pied posé sur le gazon : « Que ça commence, vite ! » Pour conjurer le froid automnal autant que canaliser le stress, il fait les cent pas, va demander la compo au coach Pedro Silva, prend des nouvelles des blessés, motive le jeune Mfoumou à qui il vient de fournir de nouveaux crampons. Il n’a pas pris le temps de se nourrir à midi, donc ce sera une Thüringer sur le banc tandis que les Differdangeois s’échauffent. Les semaines anglaises qui s’enchaînent nécessitent une rotation qui inquiète. Il s’impatiente, évoque les bons souvenirs dans cette enceinte, commente les pépins physiques de certains absents : « C’est dans la tête que ça se joue ! » Comme un signe du destin, un ballon aérien arrive à notre hauteur, et il se fend d’un parfaite aile de pigeon amortie. Ça chambre. Mais on sent le respect autour de lui. Pas les courbettes des courtisans, non : un véritable respect qui fera sens au moment de le suivre dans les vestiaires. Aucune causerie (« Je laisse ça au coach »), juste un check et un mot d’encouragement pour chacun.

©Marco Noel

« C’est dans la tête que ça se joue ! »

Au cours de la partie, on retrouve le lion. Il enrage, rugit, peste, s’emporte sans crier gare. À la mi-temps, il va saluer son père en tribunes, plein de fierté et d’émotion de nous le montrer. Puis dans les travées, sur un coup de sang veut débouler dans les vestiaires pour s’en prendre à un joueur, retenu par son staff ! La tempête passée, il retrouve sa sérénité. Dans les gradins, il répète, pour lui, comme un mantra « on va marquer, on va marquer, on va marquer… ». L’histoire retiendra que la délivrance est venue de Boris Mfoumou pour le 0-1 à la 90’. « Les chaussures du président ! ». Le Camerounais restera cloué au sol plusieurs minutes, submergé par une joie proportionnelle à l’exaltation de « Bibi », prenant dans ses bras tous ceux qui l’entourent, auréolé d’une rage de vaincre qui lui donne des ailes. La Jeunesse méritait sans doute de marquer un point ce soir-là, mais comme le président le dira lui-même, en revenant des vestiaires où il a affirmé à tous ses joueurs, sans plus aucun grief, que cette victoire était la leur : « C’était un match de champion. On attend, on pousse, et à la fin on a tellement d’individualités que ça fait la différence. » Troisième mi-temps au clubhouse de la Jeunesse, avec le fidèle Marcel Baffa, mais aussi d’anciennes gloires eschoises. Quelques Battin plus tard, il évoque avec des étoiles dans les yeux le « Déjeuner des 11 salopards » tous les premiers mercredis du mois. C’était aujourd’hui, mais il n’a pas pu se libérer. Il a hâte d’être au mois prochain et d’en avoir bien d’autres à raconter. Car Fabrizio Bei est peut-être un dirigeant exigeant, un stratège, un homme d’affaires, un père protecteur, un séducteur, un gourmet, il est surtout un insatiable. Ce qu’il voudrait, c’est que son chapitre n’ait pas de fin. Rendez-vous donc au prochain épisode ?

Texte et photos de notre journaliste Marco Noel (article paru dans le Dribble! #68 d’octobre 2025)

Marco Noel

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