Priorité nationale et problème global : la santé mentale est devenu l’un des maux du siècle. Un phénomène amplifié par la pandémie, avec des facteurs aggravants pour les sportifs et les jeunes, soumis à une pression sociale de plus en plus insistante. État des lieux d’une prise de conscience récente grâce aux témoignages des plus grands athlètes sortis du silence.
Noami Osaka, Andres Iniesta, Thierry Henry, Ian Thorpe ou encore Michael Phelps et Marc Cavendish : ils ont été nombreux à sortir de l’omerta sur la dépression des sportifs de haut niveau. Une boîte de Pandore enfin ouverte, qui a même permis à Prime Video d’éditer un documentaire en 2023 « STRoNG, aussi forts que fragiles ». Car 2021 a agi comme un révélateur. Le mal-être psychologique des athlètes de haut niveau ne date pas d’hier, mais c’était il y a 5 ans encore un tabou généralisé.
En mai 21, la tenniswoman japonaise Naomi Osaka avait surpris le monde du sport en se retirant de Roland-Garros, n’arrivant plus à faire face aux conférences de presse. Des montées d’angoisse irrépressibles avant de s’adresser aux médias et une tristesse infinie en cas de défaite, des symptômes qu’elle n’a pas voulu occulter et surtout qui avaient des répercussions sur ses performances. Quelques mois plus tard, elle se montrait apathique lors de l’US Open, sur le court comme devant les médias, suscitant même l’arrêt de la séance de questions par le responsable presse. Dans la foulée, elle prenait la décision de mettre sa carrière entre parenthèses. Entre temps, la légende Simone Biles avait accusé le coup au cours des Jeux de Tokyo et sortait du silence.
(Biles, The New York Magazine)
L’iconique gymnaste américaine a révélé que ses problèmes étaient « profondément enracinés » et n’étaient pas apparus sous la pression de la compétition olympique. Victime d’agression sexuelle par le multirécidiviste ex-médecin de l’équipe féminine, elle confie avoir « poussé au-delà du possible, aussi longtemps que mon esprit et mon corps me le permettaient. » Souffrant soudainement de déséquilibre dans les airs, Simone Biles avait mis fin à ses JO après le bronze obtenu sur la poutre, déclarant que « ce sera probablement quelque chose sur lequel je travaillerai pendant 20 ans. » Contrairement à Osaka, l’Américaine a reçu un soutien quasi-unanime, mettant fin à des décennies de stigmatisation des problèmes de santé mentale dans le sport.
Et depuis, pas un mois ne passe sans que les langues ne se délient sur le sujet et la nécessité de briser l’omerta. Cette année 2025 n’a pas fait exception à la règle. En janvier, nos confrères britanniques de The Observer faisaient la lumière sur la mauvaise passe subie par Andrey Rublev la saison précédente. À 27 ans, le tennisman se confiait à l’orée de l’Open d’Australie : « Après Wimbledon, c’était le pire moment que j’ai vécu. Cela n’avait rien à voir avec le tennis. Cela venait de moi-même, comme si après ce moment, je ne voyais plus de raison de vivre. À quoi bon ? Les pensées qui me traversaient l’esprit me détruisaient et je ne pouvais plus le supporter. J’ai commencé à avoir des tendances bipolaires. » Et des accès de rage, y compris sur le court. D’abord face à un juge de ligne de l’ATP 500 de Dubaï qu’il insulte en russe en mars, causant sa disqualification. Puis aux Masters de Paris 2024 : les spectateurs se souviennent sans doute de ses cris de colère « shut up ! » dirigés vers le public puis de la violence avec laquelle il a cogné sa raquette contre son propre genou, multipliant les coups à sept reprises et jusqu’au sang. Comment peut-on en arriver là ?
(Rublev, The Observer)
Les facteurs sont sans doute multiples. À commencer par la pression que l’on s’impose à soi-même et qui a demandé à Rublev un travail d’accompagnement, par son entourage (il a été notamment épaulé par ses compatriotes Marat Safin et Daniil Medvedev) ou un professionnel (travail avec un psychologue). Mais d’autres éléments viennent bien souvent semer le trouble dans la machine. Les pépins physiques en premier lieu, qui éloignent des terrains et mettent les nerfs à rude épreuve, surtout lorsqu’ils se cumulent ou se succèdent. Après l’obtention de bons résultats également, la machine médiatique s’emballe, relayée par l’écosystème pervers des réseaux sociaux, capables de vous porter aux nues un soir et de réclamer votre tête le lendemain. L’argent est également un critère à double tranchant : le grand public considère bien souvent que les gains effacent toute faiblesse. « Quand on voit ce qu’ils gagnent, ils pourraient faire un effort… » Et les contrats passés avec des sponsors peuvent alourdir la pression sur une attitude au quotidien qui ne peut plus être entachée d’aucun faux pas. Rublev a ainsi choisi de rompre son partenariat avec la marque à la virgule et de créer sa propre gamme de vêtements.
Si le tennisman a choisi de stopper la prise d’anti-dépresseurs pour sortir de sa spirale négative, il consent que chaque situation est différente et que la prise de médicaments peut être nécessaire. Ce fut le cas pour Robin Orins. En juin dernier, c’est par le biais de son propre blog « The Mind behind me » que le coureur belge de la Lotto Cycling Team revenait sur sa dépression. Dans un long texte sobrement intitulé « L’histoire derrière le silence », le cycliste de 23 ans donnait des détails glaçants : « Quand tout va bien, les choses semblent faciles, jusqu’à ce que vous atteigniez vos limites. »
(Orins, The Mind behind me)
Après une année 2024 de révélation dans le peloton (2e du Liège-Bastogne-Liège Espoirs, contrat pro…), Orins s’est retrouvé « fatigué de tout : médias, pression… J’avais besoin de repos, de temps pour moi, mais ce temps n’est jamais venu. » D’autant qu’à l’instar de Andrey Rublev, Robin Orins n’a pas été épargné par la maladie (infections respiratoires). Dès lors, crises de panique, perte d’appétit, mélancolie, tout converge vers un état dépressif aux allures de cercle vicieux. « Alors que les autres faisaient la fête en vacances, je passais mon temps à pleurer. Je n’avais plus d’énergie pour faire du vélo. Même monter mes escaliers paraissait insurmontable. Je n’avais pas seulement perdu l’appétit, j’avais perdu l’envie de vivre. »
Un constat qui a tiré à temps la sonnette d’alarme et qui a permis à ses proches de le guider vers une guérison. « J’ai commencé à prendre des médicaments et ai suivi une thérapie intensive pour me remettre sur pieds mais surtout trouver la cause profonde de mon mal-être. » Un travail de longue haleine pour résoudre un trouble anxieux latent depuis l’enfance et qui a fini par payer. « En janvier je ne voyais aucune issue. Mais aujourd’hui [ndrl : en juin 2025], je m’amuse à nouveau sur mon vélo. […] Je me suis perdu mais j’ai trouvé quelque chose de plus fort. Je sais que beaucoup de gens ne comprendront pas. Ils ne peuvent pas comprendre : si vous n’avez pas vécu ça, vous ne pouvez pas imaginer à quel point c’est difficile. »
Sortir la tête de l’eau, montrer que l’on peut vaincre la dépression, avec en message sous-jacent ou clamé haut et fort, quel que soit le sportif, son âge, sa notoriété, son genre ou son degré de performances : « vous n’êtes pas seul« .
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