Charles Schaack : « Le devoir le plus important d’un arbitre ? La protection des joueurs »

À la suite de plusieurs décisions polémiques et ayant fait du bruit ces dernières semaines, la rédaction a décidé de contacter Charles Schaack, responsable de l’arbitrage au Luxembourg, pour faire un point global sur la situation. Entretien exhaustif.

Comment évalueriez-vous la situation aujourd’hui de l’arbitrage au Luxembourg ?

Il y a deux volets à voir. Celui des arbitres élites, et celui de la base. Au niveau des arbitres élites, on n’est pas si mal placé. On a trois arbitres FIFA qui sont jeunes, ont participé à des bons matchs et reçu de très bonnes notes. Cela prouve que leurs qualités sont bien présentes. Maintenant, au niveau du championnat grand-ducal, ça n’est pas évident… Tout le monde connait tout le monde et se voit presque chaque dimanche. On est un petit pays, avec un cadre restreint d’arbitres élites. Nous en avons quatorze, et ils voient donc les clubs quasiment toutes les deux semaines. Cela fait logiquement qu’au cours des années, ou même sur une saison, beaucoup d’antécédents se créent, et cela amène forcément beaucoup de discussions et son lot d’émotions. 

Quelles sont les difficultés inhérentes aujourd’hui pour les arbitres sur les pelouses au Luxembourg aujourd’hui ?

Il faut rappeler que le championnat luxembourgeois joue un football assez rapide, offensif, et que les arbitres au pays n’ont pas beaucoup de moyens techniques, pas de VAR, pas de quatrième officiel… pour les aider aujourd’hui. Il y a donc des appréciations différentes, et forcément des erreurs d’arbitrage qui arrivent, on ne va pas le cacher. Mais ce que l’on constate aujourd’hui, c’est qu’avec la vidéo accessible aux supporters et équipes, les erreurs de l’arbitre ne sont plus du tout pardonnées, car tout le monde les voit. Il y a parfois des gens qui regardent le match sur leur tablette en même temps que sur le banc… Ils ont donc des moyens techniques plus élevés que les arbitres ! Cela provoque forcément des discussions… Maintenant, il faut aussi ne pas oublier qu’il y a aussi beaucoup de décisions correctes, qu’elles soient populaires ou non. Et on voit toujours énormément de contestation…

Dans ce contexte de moyens techniques limités, où en-est le projet de VAR Light que la FIFA a lancé il y a déjà plusieurs années ?

Le VAR light, c’est un sujet sur lequel je reviens à chaque réunion FIFA à laquelle j’assiste. On nous donne toujours la même réponse : « c’est en cours d’élaboration, c’est toujours en essai », donc on attend, on attend…

On ne vous donne pas de dates particulières sur une potentielle mise en place ?

On n’a rien de précis. On sait que c’est en train d’être testé, mais je ne sais pas où car ils ne le communiquent pas. Maintenant, qu’on soit bien clair : si les clubs – malgré les coûts sur le plan financier et le besoin de ressources humaines – sont partants, alors nous serons absolument d’accord pour le mettre en place dès que c’est disponible à nous. 

Le nombre restreint d’arbitres explique-t-il la présence d’officiels venant d’autres championnat de temps à autre ?

Les arbitres étrangers viennent ici dans un processus d’échange avec la Regionalliga West, qui a des clubs comme Aix-La-Chappelle et des rencontres qui peuvent se jouer devant plus de 10 000 spectateurs. On y envoie alors les meilleurs de nos arbitres, et eux font de même dans l’autre sens.

« Si vous allez voir un match de jeunes le samedi et que vous écoutez ce qui se passe autour du terrain avec les parents… »

Envoient-ils eux aussi leurs meilleurs, ou est-ce plus des arbitres dans une forme d’apprentissage ?

Très souvent, ce sont les meilleurs arbitres. Je tiens à rappeler que le match décisif pour le titre entre Hesperange et Dudelange l’an passé a été arbitré par un officiel de cette ligue allemande qui a fait un excellent match. Dans l’ensemble, cela s’est très bien passé, même si à une ou deux reprises, cela n’a pas été à la hauteur de ce que l’on espérait. C’est toujours un peu difficile car on ne sait pas comment cela va se passer. On leur communique quand nous ne sommes pas satisfaits, on discute, on détaille pour faire en sorte que cela s’améliore par la suite. Mais on a aucun souci à leur rappeler qu’on essaie toujours de leur envoyer soit nos arbitres FIFA, soit ceux juste un cran en-dessous, et qu’on attend la même chose en retour. Mais dans tous les cas, il est très important pour nous de prolonger cet accord, car cela nous permet d’offrir à nos arbitres une nouvelle expérience, une forme de variété. C’est vital de changer d’environnement, et ne pas se retrouver tout le temps avec les mêmes clubs à arbitrer.

Et sur le plan local, qu’est-il en place pour démarcher de potentiels nouveaux arbitres au pays ?

On fait beaucoup de publicité, déjà. Ensuite, on propose deux formations par saison pour avoir assez de postulants. Sur le plan du recrutement, on avait au mois de septembre 25 candidats.

Est-ce que vous êtes satisfait de ce nombre ?

Sur le nombre de personnes, oui. Maintenant, la réelle difficulté, c’est les conserver sur la durée, les fidéliser. Cela, ce n’est pas simple. Il y a plusieurs facteurs qui jouent. D’abord, la difficulté de la tâche. Si vous allez voir un match de jeunes le samedi et que vous écoutez ce qui se passe autour du terrain avec les parents… Ce n’est pas normal de voir ce genre de propos alors que ce qu’il faudrait dans ce cadre, c’est donner l’exemple. Et on voit en effet pas mal de jeunes qui ne veulent pas se soumettre à un tel stress et tous ces propos… Et ensuite, il y a la réalité de la disponibilité. Quand on est jeune, avec toutes les options de divertissement, entre l’école, les amis, la copine, Netflix, c’est difficile de garantir leur présence sur le long terme. Mais je peux vous dire qu’on parle ici d’un problème global, pas luxembourgeois. Chaque année, il y a 40 000 arbitres en moins dans toute l’Europe, ce qui est tout simplement énorme…

« On connait des coachs tranquilles, qui font leur boulot, et il y en a d’autres qui veulent éduquer l’arbitre, avec un langage dur et peu respectueux »

On note une relation de plus en plus hostile entre les membres des clubs et les arbitres sur les pelouses chaque week-end. Comment l’expliquez-vous ?

C’est une question très importante et malheureusement très ancrée dans l’actualité. La relation entre staff, joueurs et arbitres devient de plus en plus difficile. Comme j’ai déjà dit, ils ont avant tout des moyens techniques sur le banc que nous avons pas. Et de l’autre, le respect de nos jours n’est plus le même. Je ne parle pas évidemment de tous les entraîneurs, puisque c’est presque tout le temps les mêmes qui s’illustrent négativement. On connait des coachs tranquilles, qui font leur boulot, et il y en a d’autres qui veulent éduquer l’arbitre, avec un langage dur et peu respectueux. Quand vous ajoutez à cela toutes les émotions liées à un match de football, il y a des choses qui sortent qui ne sont plus du tout acceptables. C’est pour cela que les lois là-dessus à la FIFA ont été changées depuis deux ans, pour savoir quand et comment on doit sanctionner ce genre de dérives. Les arbitres doivent donc appliquer cela. 

La solution ne passe-t-elle pas par plus de réunions avec les clubs ?

Oui. On veut voir les équipes, les staff et les joueurs. On a eu des meetings cette année dans certains clubs de BGL Ligue avec une délégation d’arbitres. Chaque saison, on les rencontre, on fait des réunions. On a été à Hesperange, Differdange, Strassen, Pétange… On essaie de faire le maximum possible.

Comment se fait l’observation des performances des arbitres en BGL Ligue, et quels en sont les conséquences ?

Dans chaque match, il y a toujours un observateur dans les tribunes qui effectue un rapport d’évaluation. Il y a aussi une analyse des résultats des tests écrits, ainsi que la disponibilité pour les entraînements. En fin de saison, c’est comme en football, les moins bien notés descendent d’une division, et le meilleur du niveau en dessous monte. Aussi, on peut parfois avoir un jeune talent en Promotion d’Honneur qu’on veut lancer au plus vite, alors on peut l’envoyer dans l’élite avec un programme de mentoring pour accompagner cette personne et le rapprocher du top niveau.

« notre objectif est simple : faire en sorte que tout le monde ait la même ligne de conduite, et faire le minimum de fautes, tout »

Et, au-delà des évaluations, on fait aussi des cours. Par exemple, mi-octobre, on se retrouve au sein de la fédération à Mondercange, on choisit un point particulier et on discute, on clarifie, on explique de nouveau… On donne alors nos avis aux arbitres pour tacler certains sujets, comment on peut s’améliorer, et le sujet sur la relation avec les joueurs et les entraîneurs revient souvent. On essaye d’expliquer comment apaiser les situations. Maintenant, c’est comme tout : il y a la théorie et la pratique, et lors d’un match dans lequel les émotions sont élevées, ce n’est pas toujours aussi simple. C’est comme un joueur : tu peux le faire travailler les penalties toute la semaine, le week-end, il est capable de tirer à côté… De notre côté, notre objectif est simple : faire en sorte que tout le monde ait la même ligne de conduite, et faire le minimum de fautes, tout simplement. C’est pour cela qu’on fait beaucoup de stage afin que l’on soit uniforme.

Ces dernières semaines, on a pu voir plusieurs blessures, que cela soit Artur Abreu de Pétange, ou Hearvin Djetou du club de Schifflange arriver sur le terrain de manière spectaculaire, sans voir de cartons rouges en conséquences. Il y a-t-il un problème en termes de protection des joueurs en BGL Ligue ?

Dans tous mes cours, je commence toujours par dire que le devoir le plus important d’un arbitre, c’est la protection des joueurs. Cela passe déjà par identifier les joueurs-clés dans une équipe. Il faut avoir un oeil spécial sur ce qui se passe avec ces joueurs là. Maintenant, si on doit parler de cas spécifique, j’ai analysé la situation avec Artur Abreu. Oui, cela aurait du être carton rouge. C’est certain. Cela ne change rien à la blessure, mais cela aurait dû se conclure par une expulsion. On a discuté avec l’arbitre qui a lui aussi admis son erreur. Mais encore une fois, il n’a qu’une chance de voir l’action. Nous, on en a bien plus. Il a eu une mauvaise appréciation. La sanction était la mauvaise, on ne s’en cache pas, et l’arbitre en est conscient. Pour ce qui est de l’autre cas, je n’ai malheureusement pas encore eu l’occasion de l’analyser…

En France, un arbitre doit revoir sa décision en cas de blessure d’un joueur. Il peut ainsi passer d’un jaune – voir aucun avertissement – à un rouge en fonction de l’état du joueur touché. Est-ce aussi le cas au Luxembourg ?

Non. Le seul pays où cela se fait ainsi, c’est effectivement la France. Je l’ai vécu moi-même quand j’ai arbitré là-bas, et j’ai bien appris que c’est unique à ce pays. Le Luxembourg applique les lois de jeu de la FIFA, et seule la France se met dans ce cadre-là.

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