Fitness : lente reconstruction

C’est un des secteurs qui a le plus souffert de la crise du coronavirus. Fermées à plusieurs reprises, ouvertes dans des conditions drastiques et fortement dépendantes des mesures gouvernementales, les salles de fitness au Grand-Duché ont vécu deux années très difficiles. Alors que la relance semble, discrètement, faire son apparition, état des lieux de la situation dans un domaine qui admet sans mal avoir pris des coups, mais compte bien se relever.

Loin du compte

Dans cette crise du coronavirus qui parait à certains moments sans fin, c’est bien toute l’industrie sportive qui a été touchée. Fortement chamboulée par un virus particulièrement féroce, cette dernière a été impacté dans la quasi intégralité de ses disciplines. Certaines ont réussi à souffrir moins que d’autres, qui, elles, ont été, de longs mois durant, à l’agonie. C’est le cas des salles de Fitness qui ont vécu de plein fouet les décisions gouvernementales. « Il y a eu plusieurs étapes. La première a été l’annonce de la fermeture des salles qui a été terrible pour nous. On a eu lors du premier lockdown approximativement trois mois de fermeture, ce qui a été un sacré choc, fort difficile à encaisser » confirme Yves Marchello. Ce dernier, directeur général de JIMS Fitness ne cache pas les difficultés vécues lors de cette période tant historique qu’incertaine.

Un constat sans surprise, tant les fermetures ont évidemment eu des conséquences néfastes pour tous. Mais, comme le pointe Charel Triereilwer, Directeur Général de Factory 4 et Président de la Fédération, avec un modèle économique assez unique, la lutte est tout sauf finie, et le danger est encore particulièrement présent : « Le fitness n’est pas comparable avec le secteur de l’Horeca qui a pu repartir. Nous, nous sommes toujours dans le même souci. Vu que le contexte n’est pas encore très bon, les gens ont du mal à revenir. Plus on était fermé, plus les gens résiliaient leurs contrats, donc on devait agir vite, car nos abonnements sont vitaux. C’est complètement différent dans le domaine de la restauration où en cas de réouverture, tout repart normalement. Nous, nous avons perdu beaucoup de monde et sommes devenus déficitaire. D’ailleurs, il n’y a pas un seul fitness au Luxembourg qui n’st pas déficitaire. Le secteur a souffert énormément. » explique Trierweiler, avant de parler de chiffres plus spécifiques : «Le secteur a perdu 40% de sa clientèle, c’est énorme. Nous sommes face au mur. Nous avons déjà eu une faillite en septembre, et je sais que les prochaines vont arriver bientôt. Vous pouvez facilement comprendre que toutes les salles sont déficitaires, et on va accumuler les mois et années à venir les pertes jusqu’à revenir au point mort. Ceux qui n’ont pas les moyens financiers pour tenir sur la longueur vont avoir beaucoup de difficulté. »

Une Fédération salvatrice

Face à cette crise sans précédent, après la stupéfaction, il est vite temps de passer à l’action. Et l’heure est pour les habituels concurrents de cette fois-ci marcher ensemble pour essayer de limiter au maximum les dégâts. « Aux prémisses du Covid, j’ai contacté Charel (Trierweiler) de Factory 4, Jos Horsman de CK Fitness pour savoir ce que l’on pouvait faire. Charel a alors proposé de créer une Fédération. Tout est parti de là. On a eu une super organisation, une bonne communication entre les acteurs majeurs du pays avec des terrains d’entente et un effort commun pour que l’industrie du fitness au Luxembourg s’en sorte le mieux possible et qu’on limite la casse ». Trierweiler, précisément, se rappelle de l’importance de créer une Fédération pour, avant tout, peser politiquement : « Je suis toujours d’avis qu’il y a de la place pour tout le monde. On a tous un concept différent, une clientèle différente. Tant que l’on se respecte et que nous avons un fil rouge, tout le monde peut très bien fonctionner. Il y a une grande concurrence, je ne le nie pas, mais pendant la crise on a réussi à mieux se comprendre et à s’entraider. On avait à peu près 5 à 6% de la population qui étaient membres d’un club avant le COVID. Maintenant, on doit être à 3-4%… Au lieu de se battre pour ces 3%, il faut d’abord penser à convaincre les autres 97% ».

Au-delà de l’importance de créer une voix unie et plus apte à se faire entendre, il est aussi essentiel de ne pas se retrouver avec une image négative et incorrecte vis-à-vis de la réalité. « On a insisté avec la Fédération pour communiquer sur le fait que nous ne sommes pas un problème, mais bien une part non-négligeable de la solution. Et le Ministère de la Santé nous a confirmé dans deux réunions que c’était le cas. On a clairement vu chez eux le désir de tout faire pour garder la pratique sportive. Grace à cette Fédération, la situation a été meilleure ici qu’à l’étranger » détaille Horsmans. Si le soutien du gouvernement a été reconnue, et que les aides financières données ont été vitales, les dégâts de toute cette situation eux, perdurent évidemment. Avec des systèmes d’abonnement long terme, et toujours au sein d’un contexte avec une visibilité dans le futur floue, grand nombre de clients ayant résilié ne sont pour le moment pas encore revenus. « On est très loin des chiffres d’avant… » annonce sans phare Trierweiler. Quant on a réouvert on avait perdu 40% de la clientèle. Aujourd’hui, nous sommes peut-être à 30%… Cela va durer des mois et des années pour revenir à la même situation qu’avant. Vu le contexte qui n’est pas bon, on n’arrive pas à remonter vite. On est stable voire en perte. C’est très corrélé avec les nouvelles gouvernementales. Nous sommes dépendants des annonces et de la situation sanitaire. » Même son de cloche du côté de CK Fitness qui, selon Anne Kremer a vu 30% de ses clients partir. Malgré une relance ressentie par tous aux alentours d’août et septembre, le climat morose et la progression lente dans la lutte contre le coronavirus a refroidi les ardeurs de grand nombre de clients. Et plonge encore les salles de fitness dans la précarité, avec un réel besoin de retrouver des clients au plus vite, sous peine de sombrer.

Si les mesures gouvernementales, particulièrement restrictives sur les salles de fitness ont dans l’ensemble été compris par tous les gérants, quelques décisions n’ont tout de même pas fait l’unanimité. Ainsi, selon Charel Trierweiler, quelques restrictions lui ont paru « bizarres » : « Les mesures d’une personne sur 30 m2 ne me choquaient pas du tout, mais le plafonnement à dix personnes maximum ne me paraissait pas très logique. Ici, nous avons 3000 m2, c’est évident que c’est très compliqué dans ces situations. C’était un peu étrange à gérer ». Pour Anne Kremer, au-delà des mesures contraignantes qu’elle dit parfaitement comprendre, l’opportunité a été ratée de rappeler aux gens à quel point l’entretien physique était un véritable allié pour nos défenses immunitaires : « La chance a été ratée de communiquer un message important par rapport à l’importance de l’activité physique. On n’a jamais entendu de communication traitant sur toutes les choses que l’on peut faire naturellement et qui ont beaucoup d’impact positif sur la santé ou le système immunitaire. Que cela soit l’entrainement, l’alimentation, la régénération, il y a des choses qu’on peut faire pour se protéger, et je pense que ce message a été un peu oublié dans tout le discours. »

L’amour du client

Alors, pourquoi prendre la décision de ré-ouvrir, alors que la rentabilité financière était objectivement impossible ? Pour Marchello, l’enjeu était ailleurs : « Vous vous doutez bien qu’une ouverture de club de 6h à 22h pour dix personnes maximum, ça n’était pas du tout rentable. Mais nous n’étions pas dans une stratégie de rentabilité financière mais de service client. J’avais énormément de membres qui souffraient de ce lockdown et qui cherchaient tous les moyens possibles de se maintenir en forme. Je me suis dit “si je suis capable de servir ne serait-ce que 20-30% de ma clientèle et que je peux ouvrir des créneaux à ces gens-là, et de leur proposer des entraînements, j’aurais l’impression d’avoir fait quelque chose de bien pour mes membres.” » Une opinion partagée par la totalité de nos interlocuteurs, qui ont vite compris l’importance de donner le maximum pour ses clients, au risque de les perdre.

Face aux nouvelles mesures, certains ont aussi évidemment dû s’adapter. Avec des limites de personnes aux mètres carrés particulièrement sévères, des rénovations ont dès lors été nécessaires : « Nous avons pris la décision de construire des séparations, car les règles stipulaient dix personnes maximum y compris le personnel, quel que soit la grandeur de la salle. Donc nous avons dû créer des espaces et construit des murs » confirme Horsman. « On a aussi mis en place un système de réservation.. C’était loin d’être optimal. Après, il y a toujours des gens qui ne sont pas contents, mais la grande majorité des gens ont vu tout les efforts mis en place, et étaient reconnaissants. Ils sont revenus, tandis que d’autre ont préféré attendre. » 

Quant à la Coque, celle ci en a profité pour faire des rénovations qui, en temps normal, n’auraient pas été possibles aussi tôt : « Nous avons profité de cette période pour faire des travaux en intérieur et rénover certaines zones, et faire un redesign de la salle de fines. On en a profité pour créer un nouveau logo, une nouvelle corporate identity. Nous avons pu travailler sur d’autres sujets, ce qui n’aurait pas été possible si les choses tournaient normalement » explique lui Philippe Pretz, Directeur Marketing de la Coque. 

Cette période unique dans l’histoire a d’ailleurs permis à tous et chacun de se réinventer : « On a offert des cours en ligne, ce que l’on ne faisait pas avant. On a crée une page sur notre site web pour donner des conseils pendant le lockdown en termes de nutrition et entraînement, confirme Anne Kremer. On a donné le maximum pour continuer à proposer quelque chose à nos membres durant la période ou on était fermé. Cela ne peut évidemment pas remplacer l’entraînement en présentiel ici, mais on a proposé le maximum pour que nos membres restent actifs. Il y avait aussi des cours sur nos réseaux sociaux, accessibles à nos membres mais aussi à tous ceux qui venaient sur la plage. On a aussi proposé à nos membres de contacter nos experts en entraînement pour avoir des programmes individuels à domicile. Beaucoup de nos membres ont recouru à cette solution-là ». Ces innovations n’ont pas été seulement du côté des compagnies. Les gens ont, durant cette période unique, eux aussi trouvé des solutions pour pratiquer le sport.   « On a vu que les gens ont cherché des alternatives pour bouger. Aller plus à l’extérieur, faire des exercices online, utiliser des poids libres dans des parcs… Ils ont découvert d’autres activités ce qui était très bien. Et on voit qu’aujourd’hui il y a une multitude de possibilités pour pouvoir s’entraîner. Ce qu’on essaye de faire c’est donner l’opportunité aux gens de s’entraîner tant à la maison qu’en salle et trouver une cohérence entre tout ça » explique Marchello.

Avec une digitalisation de plus en plus prononcée, les salles ont ainsi réussi à maintenir un contact avec les clients, véritable clé pour continuer la fidélisation. Visio, cours, vidéos, et autres alternatives ont donc fait leur apparition définitive dans le quotidien des salles de fitness. Mais ces avancées technologiques, généralisées, ont aussi pu avoir une influence néfaste sur l’affluence globale. Car pour un grand nombre de salles, situés dans des zones stratégiques, le télétravail de divers employés complique grandement les choses.

COVID Check, attitudes différentes

Il est devenu assez commun d’aujourd’hui d’avoir des réflexes et routines qui auraient paru dignes de films de science-fiction il y a quelques années. Ainsi, la sortie de sa maison sans jamais oublier un masque, le lavage systématique des mains et la distanciation sociale sont devenus des habitudes de notre quotidien à force de répétition. Une situation qui n’échappe pas aux routines des membres de salle de fitness, pour le plus grand bonheur de ses responsables. « Tout ceci a apporté une rigueur auprès des membres en termes d’utilisation du matériel et règles d’hygiène très bénéfique. Les gens ont pris l’habitude de se désinfecter les mains, de nettoyer et ranger le matériel. Cela apporte un côté positif pour les clubs » confirme Yves Marchello. Même son de cloche du côté de CK Fitness, qui relate d’ailleurs cette attitude à un taux d’incidence quasi inexistant : « Nos membres sont très disciplinées, tout comme le personnel, et appliquent bien tout ce qu’on leur demande. Cela nous a permis d’avoir une incidence extrêmement faible, ce qui a été aussi démontrée dans une étude européenne qui confirmait que ce n’est pas dans les salles de fitness que l’on s’infecte. » abonde Jos Horsmans.

Tout autant de raisons qui expliquent donc le désir dans l’ensemble majoritaire de ne pas se soumettre au régime Covid Check. Si cette décision peut évidemment être vue par le biais du business – refuser l’entrée à des clients en ces temps difficiles serait extrêmement périlleux – il y a aussi pour certains un certain scepticisme sur la plus-value du COVID check : « On a statistiquement 25% de gens non vaccinés. Si aujourd’hui, je demande à ces gens de se faire tester tous les trois jours, je vais les perdre, tout du moins 90% de ceux là. Cela serait catastrophique du point de vue business. Et du point de vue plus général : je suis vacciné, mais je pense aujourd’hui que le Covid Check n’est pas un grand succès. On voit que les chiffres montent énormément, et les non-vaccinés restent à la maison, donc quelque chose ne fonctionne pas. Le pass sanitaire donne une fausse sécurité. Je préfère avoir le masque, avec toutes les mesures de précautions » explique le Président de la Fédération, évidemment inquiet de la hausse récente de cas à nouveau.

La santé, avant tout

Pour Jos Horsmans et Anne Kremer, au-delà du retour des membres dans les salles, l’importance de passer le message de l’importance de l’entretien physique est selon eux, vital : « Nous savons que nous avons un produit très important : la santé. On essaye de rappeler l’importance de ce message » déclare l’ancienne 18e Mondiale à la WTA. Une opinion partagée par le Directeur Général de CK Fitness, qui précise une dernière fois : « Encore une fois, nous faisons partie de la solution. L’entraînement est vital pour la santé, encore plus en hiver où c’est plus compliqué de faire les choses à l’extérieur. On est très discipliné, on fait très attention. Et tout le monde a pris l’habitude de ces mesures. »

Les médias avaient pourtant offert un coverage assez élevé des activités physiques de tous et chacun durant le confinement. Un choix éditorial source de sourires, mais qui cachait une réalité tout autre et plus inquiétante. « Des chiffres ont tout de même montré qu’approximativement 40% de la population a pris du poids pendant le confinement, avec en moyenne une prise de 4 à 6 kilos. » explique Horsmans. Si il n’y a là rien de choquant, l’absence de déplacement et d’entretien physique ayant forcément une incidence sur le corps, il y a chez la majorité de nos interlocuteurs une inquiétude vis-à-vis des répercussions de tout ceci. Car notre corps, de par une musculature plus élevée sera plus à même de lutter contre tout type d’attaques extérieures. Et en ce sens, Anne Kremer et ses collègues veulent, avant tout, rappeler les bénéfices pour le corps de la dépense physique.

Un optimisme prudent

Alors que les chiffres de personnes atteintes du COVID 19 ne font que ré-augmenter, la question doit donc, légitimement se poser : voit-on dans le monde du fitness le futur avec confiance ? Là encore, les opinions sont dans l’ensemble similaires. « Je suis de nature optimiste de par ma personnalité donc je sais qu’on ne va aller que vers du meilleur. Mais je reste très prudent surtout en termes de la mise en place des mesures sanitaires où nous ne nous permettons aucun relâchement. Mais j’aurais tendance à croire que cela va mieux, surtout avec la généralisation de la vaccination.On n’y est pas encore. On peut donc parler d’optimisme prudent (rires) ! ». Plus tempéré, Charel Trierweiler préfère lui rappeler l’état d’esprit du passé : « Il y a un an on se disait qu’aujourd’hui ça serait fini. Sans mettre une date dessus, je suis optimiste pour le futur du produit. Le jour X où le COVID est plus ou moins vaincu, on va avoir une relance énorme, car la demande existe. Le contexte n’est juste pas propice. Si vous me demandez aujourd’hui si je suis optimiste pour 2022 : honnêtement je ne sais pas. Cet été on était extrêmement optimiste car Aout et septembre ont été extrêmement prometteurs avec une très forte relance. On pensait que c’était réglé (rires) ! Et aujourd’hui, ça tire à nouveau vers le bas avec un mauvais contexte… On est très dépendant du contexte, c’est dur de prédire l’avenir. Mais je crois profondément en le futur du produit ». Anne Kremer elle, semble avoir pris la décision d’arrêter d’anticiper. Sans « boule de crystal », celle-ci préfère souligner le besoin de détermination et l’envie de faire son chemin. Si les dernières infos ne rassurent pas Philippe Pretz (« Dans les infos, on voit aujourd’hui les nombres qui augmentent à nouveau »), lui, aime rappeler les derniers évènements ayant eu lieu dans le Grand-Duché, symbolique du potentiel retour vers la vie normale : « Nous avons pu recommencer les évènements, avec presque 2 000 spectateurs il y a quelques jours. Les gens y ont pris du plaisir et ont accepté sans sourciller les règles sanitaires mises en place. C’est encourageant ». Finalement, le dernier mot reviendrait peut-être à Annemie Elsen qui, au-delà de spéculer sur le futur, préfère simplement s’en référer au fighting spirit : « Il faut être optimiste, on n’a pas trop le choix. »

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